BOORSTIN : Le triomphe de l’image (1962, 2012)

Ce qu’ils en disent…

[LIBREL.BE] Cet essai a été écrit au début des années 1960 par un homme qui avait connu les États-Unis avant que l’industrie des relations publiques y devienne omniprésente. Il se lit aujourd’hui comme une critique du monde actuel en provenance d’un autre temps. L’historien Boorstin pensait que la vigueur et l’identité des Américains provenaient de leur confrontation avec le territoire du Nouveau Monde. C’est cette expérience concrète, physique et empirique qui aurait forgé le caractère national de ce peuple, et non pas les grands dogmes théologiques, les idéaux politiques ou les schèmes intellectuels. Or, la dynamique des médias de masse, de la publicité, du vedettariat et du marketing, bref le coeur de ce qu’on appelle de nos jours la société du spectacle, a radicalement bouleversé cette expérience. Elle a transformé le territoire américain en espace publicitaire et médiatique, un univers éthéré où les illusions paraissent plus réelles que la réalité elle-même. Le dynamisme remarquable de la société américaine a donné de beaux fruits, mais si les Américains s’émancipent de tout principe de réalité, cette vigueur se retournera inévitablement contre eux. C’est cette mise en garde qu’entendait servir Daniel Boorstin à ses concitoyens en écrivant Le triomphe de l’image. Une histoire des pseudo-événements en Amérique

[JOURNAL.OPENEDITION.ORG] Avec son ouvrage Le triomphe de l’image, paru en 1962, Daniel J.Boorstin signe une œuvre annonciatrice de l’approche critique de notre société de consommation de masse. Historien, Daniel J. Boorstin s’appuie, pour élaborer son analyse crique, sur l’interprétation de faits tels que l’évolution des techniques d’impression, l’apparition des best-sellers ou des voyages organisés, ou encore l’évolution du langage. Ainsi, l’auteur décrit-il les transformations entraînées par la « révolution de l’image », qui débute au début du XIXe siècle, avec les progrès techniques, notamment dans le domaine de la communication et des transports. Toutefois, les progrès techniques ne suffisent pas : selon l’auteur, notre époque ne serait pas celle de l’artifice sans le développement de la démocratie et de son idéal égalitaire, une époque où « les illusions sont plus réelles que la réalité elle-même » (p.68). Daniel J. Boorstin dénonce la vacuité de nos vies, gouvernées par le spectacle, le divertissement et la marchandise.

Notre société est donc sous le règne de l’artifice et du simulacre, et ce, dans tous les domaines, notamment intellectuels et culturels. Le métier de journaliste n’est plus celui de la recherche de nouvelles, mais celui de la fabrication de nouvelles, de pseudo-événements, qui doivent alimenter des médias diffusant des informations de façon de plus en plus rapide pour assouvir la « soif de connaissance » des citoyens, de plus en plus alphabétisés et pressés de s’informer. Symptomatique de cette évolution : les interviews, qui ne font qu’exacerber des opinions et ne sont guère des événements. Les pseudo-événements empoisonnent l’expérience humaine à la source et conduisent à la valorisation de pseudo-qualification, donnent l’illusion de la toute-puissance, bien loin de la grandeur humaine. Daniel J. Boorstin montre en quoi le triomphe de l’image permet la valorisation de la célébrité, au détriment de la renommée et signe ainsi l’avènement de la masse au détriment du peuple. Nul besoin, avec les pseudo-événements, d’être renommé du fait d’actes héroïques ou grandioses, car n’importe qui peut être célèbre : il suffit de paraître dans l’actualité.

Les voyages se sont transformés en tourisme de masse. Les transports s’améliorent et présentent moins de risques. Voyager ne consisterait donc qu’à consommer des lieux artificiels de divertissement, qui se ressemblent tous d’un coin à l’autre du globe, sous l’effet des voyages organisés, des guides de voyage et des motels. « Le voyageur allait à la rencontre de l’autre ; aujourd’hui, tout est fait pour que le touriste l’évite » (p.136). De même, les musées sont une attraction touristique relevant du commerce où les œuvres sont destinées à la consommation.

« Les progrès et l’amélioration des formes de la technique transforment toute manifestation intellectuelle en vulgaire article commercial » (p.238). Les formes littéraires se dissolvent du fait du développement du cinéma, symbole même du « triomphe de l’image » et du vedettariat, et de l’émergence des « digests », condensés d’articles et de livres. Les formes d’expression sont de plus en plus indifférenciées comme la confusion entre le film et le roman. Roman de moins en moins relevant de la littérature mais de la vente, comme le montre le succès des « best-sellers » : le livre se vend car il s’est vendu.

La révolution de l’image tend à indifférencier toutes les expériences de la vie. Le langage des images a remplacé celui des idéaux et mène au conformisme. L’image est une invitation au mimétisme : les normes sont remplacées par des images, le conventionnel par le conformisme, le raisonnement par la séduction, la réflexion par le réflexe. D’où l’apparition de la marque et l’omniprésence de la publicité, mélange des pseudo-idéaux et des pseudo-événements, d’autant que « les gens aiment à être bercés d’illusions » (276).

Dans le domaine des sciences sociales, Daniel J. Boorstin regrette la disparition de l’historien humaniste au profit du sociologue. En effet, pour l’auteur, la sociologie caractérise l’avènement des pseudo-événements et des pseudo-idéaux, du fait qu’elle fait de la caricature de groupe, produit une image à laquelle l’individu doit se conformer. L’historien, lui, établissait le portrait de grandes figures exemplaires, admirables. On retrouve ici la critique de la démocratie énoncée par l’auteur : la perte de la grandeur.

La révolution de l’image brouille les catégories de vérité et de mensonge, du savoir et de l’ignorance. La quête de vérité s’est transformée en recherche de crédibilité. Le monde est de plus en plus confus, opaque. C’est le règne de l’opinion publique et des sondages.

L’auteur termine son ouvrage sur la disparition du rêve américain au profit de l’illusion et une clôture des Américains sur eux-mêmes : le peuple américain souffre inconsciemment de sa propre idolâtrie. Ainsi, notre société est-elle celle de la médiocrité intellectuelle, dont l’usage des superlatifs et euphémismes est une illustration, et celle du simulacre et de la démesure.

Certes, Daniel J. Boorstin a écrit un livre partial, toutefois son analyse personnelle, riche en références historiques et digressions lexicologiques, semble d’autant plus pertinente avec l’évolution actuelle des technologies et des réseaux sociaux.

Sophie Maunier


BOORSTIN Daniel J., Le triomphe de l’image ; une histoire des pseudo-événements en Amérique est paru chez Lux Canada en 2012, dans une traduction de Mark Fortier.

EN (US) > FR

EAN 9782895961338

368 pages

Disponible en grand format


L’auteur…

[LISEZ.COMDaniel Joseph Boorstin (1914-2004), diplômé en droit des universités de Harvard, Oxford et de Yale, a été bibliothécaire de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis de 1975 à 1987. Il a enseigné à Harvard, Chicago, Rome, Kyoto, Cambridge et à la Sorbonne. Ses ouvrages ont reçu de nombreuses distinctions, dont le prix Pulitzer. Dans la collection « Bouquins » ont été publiés deux de ses plus brillants essais : Les Découvreurs, en 1988, et Histoire des Américains, en 1991, ainsi que Les Créateurs en 2014.


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OLIVER : Une Ourse dans le jardin (non-publié, 2024)

Ce qu’ils en disent…

[New York Times Book Review] « Un des aspects les plus étonnants de la poésie de Mary Oliver est la continuité de ton, à travers une période d’écriture étonnamment longue. Ce qui change néanmoins, c’est une insistance plus marquée sur la nature et une plus grande précision dans l’écriture, au point qu’elle est devenue un de nos meilleurs poètes… Pas de plaintes dans les poèmes de Madame Oliver, pas de pleurnicheries, mais d’aucune manière l’impression que la vie soit facile… Ces poèmes nous soutiennent, plutôt que de nous divertir. Même si peu de poètes ont aussi peu d’êtres humains dans leurs poèmes que Mary Oliver, il faut constater que peu de poètes sont aussi efficaces pour nous aider à avancer.« 

Stephen Dobyns (trad. Patrick Thonart)


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OLIVER Mary, Une Ourse dans le jardin est un recueil de poèmes à paraître, dans une traduction de Patrick Thonart avec des illustrations de Bénédicte Wesel. Il est disponible sur demande.

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25 poèmes

Disponible en PDF


Bonnes feuilles…

Quand la mort viendra
avide comme l’ours en automne ;
quand la mort viendra et sortira tous les écus brillants de sa bourse

pour m’acheter, puis que, d’un geste, elle la refermera ;
quand la mort viendra
comme la rougeole ;

quand la mort viendra
comme un iceberg entre mes omoplates,

je veux passer la porte pleine de curiosité, en me demandant :
mais comment sera-t-elle, cette cabane de ténèbres ?

Pour ça, je regarde tout
comme un frère et une sœur,
et le temps, je le vois comme une simple idée,
et l’éternité comme une autre possibilité,

et je vois chaque vie comme une fleur, aussi commune
qu’une pâquerette, et aussi singulière,

et chaque nom est une musique douce à ma bouche,
tendant, comme toutes les musiques, vers le silence,

et chaque corps est un lion plein de courage, et quelque chose
de précieux pour la terre.

Quand ce sera fini, je veux pouvoir dire que, toute ma vie,
je suis restée l’épouse de l’étonnement.
Que j’ai été le marié qui prend le monde entier dans ses bras.

Quand ce sera fini, je ne veux pas me demander
si j’ai fait de ma vie quelque chose de particulier, et de réel.
Je ne veux pas me retrouver soupirant, effrayée
ou pleine de justifications.

Je ne veux pas finir après n’avoir fait que visiter ce monde.


L’auteur…

[traduit de BUSTLE.COM, 17 janvier 2019] La poétesse américaine Mary Oliver (1935–2019) vient de décéder à l’âge de 83 ans. Elle s’était vu décerner le Prix Pulitzer ainsi que le National Book Award. Sur le site du San Francisco Chronicle, on peut lire que Bill Reichblum, son exécuteur littéraire, précise que Mary Oliver était décédée le 17 janvier, des suites d’un lymphome, à son domicile de Hobe Sound, en Floride.

Mary Oliver était l’auteure de plus de 15 recueils de poésie et d’essais. Elle était réputée pour son amour de la nature et des animaux, ainsi que pour sa manière joyeuse d’appréhender la vie et le monde. Son oeuvre est reconnaissable par sa simplicité : Mary Oliver estimait que “La poésie, pour être comprise, doit être claire.” Selon la National Public Radio, la poétesse a un jour déclaré : “Il ne s’agit pas de faire chic. J’ai le sentiment que beaucoup de poètes d’aujourd’hui sont un peu comme des danseurs de claquettes. Je trouve que tout ce qui n’est pas nécessaire est superflu et ne doit pas être dans le poème.

Kerri Jarema, bustle.com


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[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © 2005 Rachel Giese Brown.


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BERGMAN : Laterna magica (1991)

Ce qu’ils en disent…

[LIBREL.BE] Lorsque Bergman jette, comme ici, un regard sur sa vie, c’est un homme profondément marqué par une éducation rigide et par une imagination débordante qui parle. Mais c’est surtout un homme de spectacle : à la fois directeur de théâtre et réalisateur de films, il a vécu dans la fièvre, entre moments de grâce et échecs. Il s’exprime sans complaisance dans ses jugements, qu’il s’agisse d’inconnus, de vedettes – telles que Laurence Olivier, Greta Garbo ou Herbert von Karajan, avec qui il a travaillé -, ou de lui-même. Mémoires, ou plutôt antimémoires, «confessions» modernes, ce livre témoigne de blessures et de crises, mais aussi de rêves et de bonheurs, et il foisonne de souvenirs d’un étrange rayonnement.

BERGMAN Ingmar, Laterna magica est paru chez Gallimard en 1987, dans une traduction de Lucie Albertini. Il est disponible en format poche depuis 1991.

SV > FR

EAN 9782070383382

384 pages

Ce que nous en disons…

[en rédaction]

Patrick Thonart

Bonnes feuilles…

[en construction]

L’auteur…

[en construction]

[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : librel.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © ingmarbergman.se.

BAKEWELL : Au Café existentialiste (2019)

Ce qu’ils en disent…

[PHILOMAG.COM] Paris, 1932. Trois amis se réunissent dans un célèbre café de Montparnasse. Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir écoutent Raymond Aron, de retour de Berlin, parler d’une forme de pensée radicalement neuve qu’il a découverte : la phénoménologie. « Si tu es un phénoménologue, lance-t-il à Sartre, tu peux parler de ce cocktail et c’est de la philosophie ! » Intrigué et inspiré, Sartre élabore une théorie fondée sur l’existence vécue, dont le quartier de Saint-Germain-des-Prés va devenir l’emblème. L’existentialisme va faire vibrer Paris et se diffuser dans le monde entier, de l’après-guerre aux mouvements étudiants de 1968. Avec l’érudition et l’humour qui ont fait l’immense succès de Comment vivre ?, Sarah Bakewell fait revivre un courant fondateur de l’histoire de la pensée du XXe siècle et nous plonge dans l’atmosphère effervescente du Paris existentialiste. Sarah Bakewell redonne des couleurs à nos penseurs trop souvent figés dans un noir et blanc nostalgique.

BAKEWELL Sarah, Au café existentialiste ; la liberté, l’être et le cocktail à l’abricot est paru chez Albin Michel en 2018, dans une traduction de Pierre-Emmanuel Dauzat et Aude de Saint-Loup. Il est disponible en format poche depuis 2019.

UK > FR

EAN 9782253257837

600 pages

Ce que nous en disons…

[en rédaction]

Patrick Thonart

Bonnes feuilles…

[en construction]

L’auteur…

Nationalité : Royaume-Uni
Né(e) à : Bournemouth , le 03/04/1963
[BABELIO.COM] Sarah Bakewell est une romancière anglaise. Son enfance s’est passée partout en Europe puis en Australie. Revenue à Londres, elle a été conservatrice au département des incunables de la Wellcome Library avant de publier deux biographies remarquées. À Londres toujours, elle anime des ateliers d’écriture à la City University et travaille pour les collections de livres rares du National Trust. Comment vivre ? (How to Live, 2010) a reçu le National Book Critics Circle Award for Biography aux États-Unis, et le Duff Cooper Prize for Non-Fiction en Grande Bretagne. L’ouvrage a également figuré dans la sélection du Costa Biography Award et du Marsh Biography Award.
Site (EN) : http://www.sarahbakewell.com/

[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : librel.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Albin Michel.