DE LUCA : Récits de saveurs familières (Spizzichi e bocconi, 2025)

Ce qu’ils en disent…

[GALLIMARD.FR] Erri De Luca nous invite à un voyage gustatif dans lequel chaque plat, chaque expérience culinaire ouvre une porte sur un souvenir. Des épisodes et des lieux, issus de son enfance ou de sa vie d’adulte, ressurgissent grâce à une mémoire sensorielle : les déjeuners du dimanche au parfum de ragù, les repas pris sur des chantiers ou en montagne, l’ambiance chaleureuse des osterie populaires où la jeunesse militante côtoyait la classe ouvrière. En écho à chaque récit, Valerio Galasso, nutritionniste et ami, livre des conseils pratiques et des clés pour de saines habitudes alimentaires. De sa plume limpide et poétique, Erri De Luca se dévoile tout en poursuivant l’exploration des thèmes qui lui sont chers. Dans ce livre intime, traversé par les traditions culinaires italiennes, la cuisine devient un langage de transmission et de partage, jusque dans les recettes familiales proposées en fin d’ouvrage.


DE LUCA Erri (né en 1950), Récits de saveurs familières est paru chez Gallimard en 2025, dans une traduction de Francesca Melandri.

IT > FR

EAN 9782073016218

256 pages

Disponible en grand format et ePub.


Bonnes feuilles…

À table on se bat avec la mort

Erri de Luca : Ma grand-mère Emma disait qu’à table on se bat avec la mort. Ça me semblait exagéré, mais je ne demandais pas d’explication. Par tempérament, je n ‘ai pas connu la pétulance du pourquoi. Je devais comprendre tout seul, comme pour les autres choses des adultes.
Le proverbe de ma grand-mère était un avertissement : le morceau pouvait s’introduire de travers dans la trachée au lieu de l’oesophage.
Tout le monde a été victime de ce genre d’incident, qui se règle la plupart du temps avec une claque dans le dos du plat de la main.
Dans des cas plus graves, on risque l’étouffement. On peut alors effectuer un geste inventé exprès, la manoeuvre de Heimlich. En prenant la personne qui s’étouffe de dos, au niveau du sternum, et en exerçant de fortes compressions vers le haut, on peut lui sauver la vie.
Les journaux rapportent des cas mortels et aussi des sauvetages en temps opportun.
À table on se bat avec la mort : il ne faut pas parler la bouche pleine par mesure de prévention. Puis c’est devenu un signe de bonne éducation.
Avec le temps, j’ai compris qu’un comportement correct à table protège des morceaux avalés de travers. Se tenir assis le dos droit et non courbé, les coudes collés au buste, jamais posés sur la table, porter les aliments à sa bouche et non pas se pencher sur eux, manger de petites bouchées. Enfant, j’apprenais ces règles en les supportant comme des contraintes formelles. Elles ne l’étaient qu’en partie. Elles éduquaient à la position de sécurité.
Chaque fois qu’il m’arrive d’avaler de travers, il est évident que j’ai transgressé les consignes.

Valerio Galasso : Ton récit m’a fait sourire, parce que mon père nous a toujours répété cette phrase, à mes frères et à moi. Un jour où nous étions à Anzi, dans la campagne lucanienne, mon jumeau Chicco a failli s’étouffer avec un trop gros morceau de pêche – quelques secondes de panique, puis il a heureusement réussi à l’avaler.
Il est recommandé d’éviter les trop grosses bouchées et de compter au moins dix mastications pour chacune – comme j’aime le dire à mes patients, « posons nos couverts » entre deux bouchées ! La mastication est en effet la première phase de la digestion : ce qui se passe une fois les couverts posés dans l’assiette détermine le destin de l’aliment et de ses nutriments au cours des vingt-quatre à trente-six heures suivantes. C’est pourquoi il est si important de bien mâcher, en réduisant la bouchée à une bouillie afin que les enzymes salivaires puissent accomplir au mieux leur devoir. Notre salive est riche en substances chimiques et en bactéries utiles pour digérer les aliments dès les premières secondes de mastication : prolonger cette action permet à ces substances de pénétrer à fond dans l’aliment et de briser les grandes chaînes typiques de certains glucides. La ptyaline, par exemple, est une enzyme nécessaire à la digestion des longues chaînes de l’amidon présent dans les pâtes, le pain, la pizza et les pommes de terre.
Moins nous mâchons et plus le travail que l’estomac et l’intestin devront faire en aval sera important : digérer des morceaux entiers demandera une production de sucs gastriques plus conséquente, délétère pour ceux qui souffrent de reflux. Et, si nous mangeons trop vite, il est très probable que nous aurons du mal à digérer et que nous nous sentirons ballonnés, parce que nous aurons avalé plus d’air que de nourriture et que nous n’aurons pas laissé la salive dégrader l’amidon. Les aliments, souvent encore en morceaux, passent de l’estomac à l’intestin, un tuyau long de sept mètres environ qui, par sa ressemblance et ses fonctions primaires, est aussi appelé le deuxième cerveau. Hippocrate disait que toutes les pathologies proviennent précisément de l’intestin, ce que j’approuve totalement. Il faut donc donner les bons nutriments à cet organe important, et sous une forme correcte. Un aliment mal digéré est perçu comme un ennemi par le système immunitaire qui se met alors à l’attaquer : on se fatigue, on fatigue l’imestin et on favorise l’inflammation, terrain fertile pour des maladies inflammatoires chroniques, auto-immunes et des tumeurs. Traitons donc bien notre intestin et le reste de notre corps nous remerciera.
Un autre aspect fondamental d’un point de vue éducatif et anatomique est la bonne position à table : le dos droit et les coudes serrés. Se pencher sur l’assiette crée un écrasement du diaphragme sur l’estomac, rend la respiration difficile, réduit les dimensions du lieu d’accueil du bol alimentaire et prédispose à une très mauvaise digestion. En gardant une position droite, et en faisant une promenade après le repas, nous faciliterons le transit de la nourriture et sa digestion dans l’estomac.
Dire qu’à table on se bat avec la mort peut te sembler exagéré, mais pour moi non, car à table on fait de la prévention et on soigne.


L’auteur…

Erri De Luca (originellement prénommé Enrico, il a adopté ensuite la forme italianisée de Harry) est né à Naples en 1950, dans une famille bourgeoise appauvrie par la guerre. Il grandit dans le quartier populaire de Montedidio, qui donnera son titre à l’un de ses romans les plus célèbres. [lire la suite dans notre article sur Montedidio]


[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : librel.be ; gallimard.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © igolfo24.it ; © Gallimard.


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    DE LUCA : Montedidio (2002)

    Ce qu’ils en disent…

    [GALLIMARD.FR] Dans un quartier populaire de Naples appelé Montedidio, littéralement « la montagne de Dieu », un garçon de treize ans décide d’abandonner l’école pour entamer un apprentissage chez un menuisier, mast’Errico. Dans son atelier, il fait la connaissance de Rafaniello, un cordonnier juif rescapé de la Shoah doté d’une grande sagesse, avec lequel il se lie d’amitié. Confronté à la dureté du monde des adultes, le jeune garçon rêve secrètement de s’envoler loin de Montedidio. Cloué au sol, il réussit malgré tout à s’évader à travers l’écriture : il couche sur le papier ses joies et ses peines, les étranges sensations qu’il éprouve face à son corps d’enfant qui se transforme en celui d’un homme, son amitié avec Rafaniello, et surtout son éveil à l’amour après sa rencontre avec la belle Maria. Un roman d’apprentissage bouleversant et poétique qui a été couronné par le prix Femina étranger en 2002.


    DE LUCA Erri (né en 1950), Montedidio est paru chez Gallimard en 2002, dans une traduction de Danièle Valin. Il est disponible en Folio depuis 2003.

    IT > FR

    EAN 9782070302703

    240 pages

    Disponible en grand format, ePub et poche.


    Bonnes feuilles…

    Chacun de nous vit avec un ange, c’est ce qu’il dit, et les anges ne voyagent pas, si tu pars, tu le perds, tu dois en rencontrer un autre. Celui qu’il trouve à Naples est un ange lent, il ne vole pas, il va à pied : « Tu ne peux pas t’en aller à Jérusalem », lui dit-il aussitôt. Et que dois-je attendre, demande Rafaniello. « Cher Rav Daniel, lui répond l’ange qui connaît son vrai nom, tu iras à Jérusalem avec tes ailes. Moi je vais à pied même si je suis un ange et toi tu iras jusqu’au mur occidental de la ville sainte avec une paire d’ailes fortes, comme celles du vautour. » Et qui me les donnera, insiste Rafaniello. « Tu les as déjà, lui dit celui-ci, elles sont dans l’étui de ta bosse. » Rafaniello est triste de ne pas partir, heureux de sa bosse jusqu’ici un sac d’os et de pommes de terre sur le dos, impossible à décharger : ce sont des ailes, ce sont des ailes, me raconte-t-il en baissant de plus en plus la voix et les taches de rousseur remuent autour de ses yeux verts fixés en haut sur la grande fenêtre.


    L’auteur…

    [BNF.FR] Erri De Luca (originellement prénommé Enrico, il a adopté ensuite la forme italianisée de Harry) est né à Naples en 1950, dans une famille bourgeoise appauvrie par la guerre. Il grandit dans le quartier populaire de Montedidio, qui donnera son titre à l’un de ses romans les plus célèbres.

    Luttes politiques et engagements humanitaires

    Parti faire ses études à Rome alors qu’éclate la révolte de 1968, il se joint aux luttes ouvrières des années 70 et s’engage dans le mouvement Lotta continua, l’un des plus importants de la gauche extraparlementaire italienne d’alors, dont les archives conservées dans la fondation portant son nom documentent l’activité. Il n’achève pas ses études et exerce ensuite diverses professions manuelles : il travaille notamment à la Fiat, puis sur des chantiers en France et en Italie. Son engagement humanitaire le conduit en Tanzanie en 1983, dans le cadre d’un programme pour l’approvisionnement en eau, puis, dans les années 1990, dans la Yougoslavie en guerre, où il conduit des convois humanitaires.

    Une vie de lectures et d’écriture

    Il se prend au cours de ces années d’un intérêt pour la Bible, surtout pour l’Ancien testament, qu’il lit quotidiennement et qu’il a partiellement traduit de l’hébreu ; cette lecture imprègne fortement son œuvre.
    Son premier livre, Non ora, non qui, paraît en 1989. Il en a publié depuis de nombreux autres, alternant textes de réflexion sur les écritures saintes (Una nuvola come tappeto, Nocciolo d’oliva, ou romans comme In nome della madre, E disse), traductions, recueils de poésies (Opera sull’acqua, Solo andata), théâtre (L’ultimo viaggio di Sindbad) et surtout œuvres narratives : on lui doit nombre de romans ou récits, souvent brefs, ayant pour la plupart une tonalité autobiographique et Naples ou ses environs pour cadre, où il fait entendre les échos des rues des quartiers populaires de sa ville natale (Non ora, non qui, Montedidio, Tu, mio), restitue son expérience intime de la montagne (Sulla traccia di Nives, Il peso della farfalla) ou évoque son engagement politique (Impossibile).
    Il a aussi pris part à des projets communs avec des musiciens (Gianmaria Testa) et des cinéastes (notamment les courts-métrages Di là del vetro, Il turno di notte lo fanno le stelle et Tu non c’eri, qu’il a écrits).
    Il reste très engagé politiquement, aux côtés du mouvement altermondialiste et des migrants. Inculpé en 2013 pour incitation au sabotage dans le cadre de la lutte contre la nouvelle ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin (mouvement No Tav), il a finalement été relaxé en 2015 : l’un de ses livres, La parola contraria, s’en est fait l’écho.

    La reconnaissance du public

    En France, son roman Trois chevaux, honoré avec sa traductrice Danièle Valin du prix Laure-Bataillon en 2001, et Montedidio, lauréat du prix Femina étranger en 2002, ont contribué à sa notoriété. Le Prix européen de littérature lui a été décerné en 2013 ainsi que le Prix Ulysse pour l’ensemble de son œuvre.


    [INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : librel.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © Gallimard.


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