Ce qu’ils en disent…
[ZULMA.FR] Le jeune Arnljótur va quitter la maison, son frère jumeau autiste, son vieux père octogénaire, et les paysages crépusculaires de laves couvertes de lichens. Sa mère a eu un accident de voiture. Mourante dans le tas de ferraille, elle a trouvé la force de téléphoner aux siens et de donner quelques tranquilles recommandations à son fils qui aura écouté sans s’en rendre compte les dernières paroles d’une mère adorée. Un lien les unissait : le jardin et la serre où elle cultivait une variété rare de Rosa candida à huit pétales. C’est là qu’Arnljótur aura aimé Anna, une amie d’un ami, un petit bout de nuit, et l’aura mise innocemment enceinte. En route pour une ancienne roseraie du continent, avec dans ses bagages deux ou trois boutures de Rosa candida, Arnljótur part sans le savoir à la rencontre d’Anna et de sa petite fille, là-bas, dans un autre éden, oublié du monde et gardé par un moine cinéphile.
[LEPOINT.FR] Goutte de rosée sur un perce-neige, stalactite fondant au soleil, pain d’épices sous marbré se craquelant, concert de notes cristallines, comment dire les sensations inouïes que procure cette lecture venue du Grand Nord ? “Mon petit Lobbi”, voilà comment son vieux père, veuf inconsolable mais pourtant vaillant, nomme son fils qu’il voit prendre la route un jour, loin de la maison familiale, de la présence, muette et tendre, de son frère jumeau handicapé. Arnljótur s’en va vers un pays des roses que sa mère trop tôt disparue lui a appris à aimer, c’est sa grande passion, avec celle qu’il porte au “corps”, comme il désigne l’amour physique. Le sentiment, lui, n’a pas germé encore, même lors de son étreinte fugace, de nuit, dans la roseraie, avec Anna, qui lui annonce bientôt qu’elle est enceinte. Le si jeune père montre la photo de Flora Sol, sa toute petite, à tous ceux qui croiseront son périple vers le monastère où il est attendu comme jardinier.
Le long voyage est initiatique, semé d’inattendues rencontres, tendu par la difficulté de se faire comprendre quand on parle une langue que personne ne connaît.
Et puis, un jour, Anna demande au jeune homme d’accueillir leur enfant. Tout est bouleversé. Mais tout en douceur, avec ce qu’il faut de non-dits pour que l’essentiel affleure et touche au plus profond.
Tant de délicatesse à chaque page confine au miracle de cette Rosa candida, qu’on effeuille en croyant rêver, mais non. Ce livre existe, Auður Ava Ólafsdóttir l’a écrit et il faut le lire.”
Valérie Marin La Meslée
[NOUVELOBS.COM] En route pour une ancienne roseraie du continent, avec dans ses bagages deux ou trois boutures de Rosa candida, Arnljótur part sans le savoir à la rencontre d’Anna et de sa petite fille, là-bas, dans un autre éden, oublié du monde et gardé par un moine cinéphile.
Un humour baroque et léger irradie tout au long de cette histoire où rien décidément ne se passe comme il faut, ni comme on s’y attend.
Anne Crignon
OLAFSDOTTIR Audru Ava, Rosa candida est paru chez Zulma en 2015, dans une traduction de Catherin Eyjolfsson.
IS > FR
EAN 9782843047336
288 pages
Le roman est disponible en ePub et poche.
Ce que nous en disons…
La simplicité du désir que l’on découvre, comme une rose au matin petit, la musique du vent qui se glisse contre la peau, du mélisme sans mélo. Une prose directe, foisonnante de sobriété. Merci Madame Olafsdottir…
Bonnes feuilles…
Comme je vais quitter le pays et qu’il est difficile de dire quand je reviendrai, mon vieux père de soixante-dix-sept ans veut rendre notre dernier repas mémorable. Il va préparer quelque chose à partir des recettes manuscrites de maman – quelque chose qu’elle aurait pu cuisiner en pareille occasion.
« J’ai pensé, dit-il, à de l’églefin pané à la poêle et ensuite une soupe au cacao avec de la crème fouettée. » Pendant que papa essaie de trouver comment s’y prendre pour la soupe au cacao, je vais chercher mon frère à son foyer dans la vieille Saab qui va sur ses dix-huit ans. Jósef m’attend depuis un moment, planté sur le trottoir et visiblement content de me voir. Il est sapé à bloc parce que c’est ma soirée d’adieu, il porte la chemise que maman lui a achetée en dernier, violette à motifs de papillons.
Pendant que papa fait revenir l’oignon alors que les morceaux de poisson attendent, tout prêts, sur leur lit de chapelure, je vais dans la serre chercher les boutures de rosier que je vais emporter. Papa m’emboîte le pas, ciseaux à la main, pour couper de la ciboulette destinée à l’églefin et Jósef, silencieux, le suit comme son ombre. Il n’entre plus dans la serre depuis qu’il a vu les débris de verre causés par la tempête de février qui a réduit en miettes beaucoup de vitres. Il reste dehors, près de la congère, et nous suit du regard. Papa et lui portent le même gilet noisette avec des losanges jaunes.
« Ta mère mettait toujours de la ciboulette avec l’églefin », dit papa, tandis que je lui prends les ciseaux des mains et m’étire pour atteindre dans le coin de la serre la touffe toujours verte dont je lui tends une poignée. C’est moi le seul héritier de la serre de maman, comme papa me le rappelle régulièrement. Ce n’est pas qu’il s’agisse d’une culture de grande envergure comme trois cent cinquante pieds de tomate et cinquante plants de concombre qui se transmettraient de mère en fils ; il ne s’agit en fait que de roses qui poussent toutes seules, sans qu’on ait besoin de s’en occuper spécialement, et peut-être de la dizaine de plants de tomate qui restent. Papa se chargera d’arroser en mon absence.
« Je n’ai jamais été porté sur les légumes, mon petit Lobbi, c’était le dada de ta mère. Moi, je pourrais tout au plus manger une tomate par semaine. À ton avis, à la récolte, ça va donner combien de fruits par plant ?
— Tâche de les donner, alors.
— Je ne peux tout de même pas frapper à tout bout de champ chez les voisins avec mes tomates.
— Et Bogga ? »
Je dis cela tout en me doutant bien que la vieille amie de maman doit avoir les mêmes goûts que papa.
« Tu ne veux tout de même pas que j’aille toutes les semaines rendre visite à Bogga avec trois kilos de tomates. Elle insisterait pour que je reste à dîner. »
Je pressens aussitôt ce qu’il va dire ensuite.
« J’aurais voulu inviter la demoiselle et l’enfant, poursuit-il, mais va savoir si tu n’y serais pas opposé.
— Oui, j’y suis opposé. La demoiselle, comme tu dis, et moi, on n’est pas un couple et on ne l’a jamais été, même si on a un enfant ensemble. Ça a été un accident. »
J’ai déjà mis les choses au point et papa doit bien se rendre compte que l’enfant est le fruit d’un instant d’imprudence, et que ma relation avec la mère s’est limitée au quart, que dis-je, au cinquième d’une nuit.
« Ta mère n’aurait pas vu d’objection à les inviter au dernier repas. » Chaque fois que papa a besoin de donner du poids à ses paroles, il tire maman de sa tombe pour l’appeler en renfort.
Moi, je me sens tout drôle de me trouver sur le lieu même, si j’ose dire, de la procréation, en compagnie de mon vieux père et de mon demeuré de frère jumeau qui est là, juste derrière la vitre. Papa ne croit pas aux coïncidences, du moins pas quand il s’agit des événements primordiaux de l’existence, comme la naissance et la mort ; la vie ne s’allume pas, ni ne s’éteint comme ça, par hasard, dit-il. Il ne peut pas comprendre que la conception puisse résulter d’une rencontre fortuite, que l’occasion de coucher avec une femme puisse se présenter à l’improviste, pas plus qu’il ne peut comprendre que la mort puisse résulter d’une flaque d’eau ou de gravillons dans un virage, quand on peut se référer à autre chose : aux chiffres et aux calculs arithmétiques. Papa pense les choses autrement, le monde tient par des chiffres ; ils sont au cœur même de la création et on peut lire dans les dates une vérité profonde, y voir de la beauté. Ce que moi j’appelle hasard ou occasion, selon le cas, est pour papa un élément d’un système complexe. Trop de coïncidences, ça n’existe pas, une à la rigueur, mais pas trois ; pas de coïncidences en série, dit-il : l’anniversaire de maman, la date de naissance de sa petite-fille et le jour de la mort de maman, tout ça le même jour du calendrier, le sept août. Pour ma part, je ne comprends pas les calculs de papa ; d’après mon expérience, c’est justement quand on se met à escompter quelque chose de précis, que tout autre chose arrive. Je n’ai rien contre la marotte d’un électricien à la retraite à condition que ses calculs n’aient rien à voir avec ma négligence en matière de préservatifs.
« Tu n’es pas en train de filer à l’anglaise, mon petit Lobbi ?
— Non, je leur ai dit au revoir hier. » Je n’irai pas plus loin dans son sens et il change alors de conversation.
« Tu ne sais pas si ta mère avait par hasard une bonne recette de soupe au cacao ? J’ai acheté de la crème à fouetter.
— Non, mais on pourrait peut-être trouver ensemble comment faire. »
L’auteur…
[ZULMA.FR] Auður Ava Ólafsdóttir est née en 1958 à Reykjavik. D’un réalisme sans affèterie, tout son art réside dans le décalage de son personnage, cocasse et tendre. Cette insolite justesse psychologique, étrange comme le jour austral, s’épanouit dans un road movie dont le héros sort plus ingénu que jamais, avec son angelot sur le dos. Rosa candida a été largement salué par la presse et la critique.
[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : zulma.fr ; librel.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © zulma.fr.
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