HOFF : Le Tao de Winnie (2017)

Ce qu’ils en disent…

[SYNCHRONIQUE-EDITIONS.COM] Un petit bijou d’humour et d’intelligence pour comprendre les grands principes du Tao. Où l’on découvre que l’un des plus grands maîtres taoïstes n’est pas un Chinois…, ni un vénérable philosophe…, mais un petit ourson contemplatif et insouciant qui agit sans effort et ne se départit jamais de son bonheur tranquille…
… Winnie simplement EST… et c’est la clé de la sagesse du Tao.

[d’après CHAOSDECRITURES.OVERBLOG.COM] Winnie the Pooh, c’est le célèbre Winnie l’Ourson, cet adorable petit ours qui vagabonde ici et là en posant des questions idiotes et traverse toutes sortes d’aventures sans jamais perdre ce bonheur naïf qui est le sien. C’est donc en compagnie de Winnie, avec ses amis de toujours, Bourriquet qui se tourmente, Porcinet qui hésite, Coco Lapin qui calcule et Maître Hibou qui pontifie, que le lecteur trouve son chemin à travers les principes du taoïsme. Car les sages sont des Enfants-Qui-Savent. Qui savent quoi ? Lisez ce livre et vous le saurez. Et peut-être votre vie en sera-t-elle changée. En chacun de nous sommeillent un Maître Hibou, un Coco Lapin, un Bourriquet, et un Pooh. Si nous étions malins, nous choisirions la Voie de Pooh. Venant de loin, elle nous interpelle, réveillant en nous l’esprit de l’enfant. Elle est peut-être parfois difficile à entendre, mais elle est importante, parce que sans elle nous ne parviendrions jamais à trouver notre chemin à travers la Forêt.
Cet étonnant petit livre nous délivre les secrets d’un bonheur simple, celui de Winnie l’ourson qui, sans le savoir, applique, et même incarne ici, les principes du taoïsme. Illustré d’exemples clairs et compréhensibles par tout un chacun, grâce aux interventions du candide et toujours joyeux petit ourson qui pose des questions apparemment idiotes à l’auteur, cet ouvrage nous propose une voie toute en simplicité pour découvrir les principes du taoïsme.
Les dialogues entre Pooh et l’auteur sont drôles, légers… savoureux comme du bon miel ! Je vous défie de ne pas sourire en les parcourant. D’ailleurs, voici comment commence l’avant-propos :

« Qu’est-ce que tu es en train d’écrire ? » demanda Pooh, grimpant sur ma table de travail.
« Le Tao de Pooh », répondis-je.
« Le comment de Pooh ? » s’exclama-t-il, faisant une trace sur un des mots que je venais d’écrire.
« Le Tao de Pooh », répétai-je en repoussant sa patte avec mon stylo.
« Cela ressemble plus au Oh ! de Pooh », dit Pooh, frictionnant sa patte.
« Eh bien, ça ne l’est pas », répondis-je avec humeur.
« Et de quoi est-ce que cela parle ? » demanda Pooh en se penchant en avant et en faisant à nouveau une traînée sur un autre mot.
« Cela parle de comment rester serein et garder son calme en toute circonstance ! » hurlai-je.
« L’as-tu lu ? » demanda Pooh.

Décidément, cet ourson est plein de sagesse. Il a déjà compris, mais sans jamais le formuler ou l’analyser, la clé de la sagesse taoïste. Pooh ne calcule pas, n’hésite pas, ne se tourmente pas. Bref, il ne se prend pas la tête, il EST tout simplement, tout naturellement, intuitivement. Pooh est incapable de nous expliquer ce qu’est le Bloc de Bois Brut avec des mots, simplement parce qu’il est cela. Telle est la nature du Bloc de Bois Brut.
Voici également un extrait pour vous aider à comprendre d’où vient cette expression de Bloc de Bois Brut (P’o – quelle coïncidence ! – en chinois) :

Ainsi, à partir des termes « arbre croissant en fourré » ou « bois non coupé », on a forgé le sens de « choses dans leur état naturel » – c’est ce que signifie, dans les versions occidentales des textes taoïstes, la traduction « Bloc de Bois Brut ».

Vous l’aurez compris, en compagnie de Pooh, le taoïsme c’est enfantin ! Mais attention, l’auteur s’adresse bien à un public adulte (également tout à fait à la portée d’un adolescent). Un excellent petit livre pour aborder, en toute simplicité et avec facilité, les notions essentielles du taoïsme. Je vous le conseille chaleureusement. Une ancienne maxime taoïste dit : « Un voyage de mille lieues commence par un seul pas« , ce modeste livre constitue un joyeux premier pas pour qui veut bien suivre la Voie de Pooh !

Seshet Noun


HOFF Benjamin, Le Tao de Winnie. Découvrir les principes du Tao. Retrouver son âme d’enfant  est paru chez Synchronique Editions en 2017, dans une traduction de Aurélien Clause et Claire Mallet (ill. Ernest H. Shepard).

US > FR

EAN 9782382390733

176 pages


Ce que nous en disons…

En respectant le dit de Lao Tseu (« Le Tao que l’on peut dire / N’est pas le Tao pour toujours« ), Hoff s’essaie à nous faire ressentir la pensée taoiste à travers les interventions délicieuses de l’ourson Winnie qui entrecoupent son texte plus mûr. « Pourquoi pas la simplicité ? », pense-t-on chaque fois que l’on referme l’opuscule, un sourire sur les lèvres…

Patrick Thonart


Bonnes feuilles…

Une fois n’est pas coutume, nous vous partageons une lecture du livre mais… en anglais (si vous en réalisez une en français : partageons-la !) :

Un extrait en français :

« Comme nous l’avons sans doute compris à présent, il n’est pas deux flocons, deux arbres, deux animaux semblables. Il en va de même pour les humains. Chaque être a sa propre Nature Intérieure. Toutefois, à la différence des autres formes de vie, les hommes s’écartent facilement de ce qui est bon pour eux parce qu’ils ont un cerveau et que ce cerveau peut être trompé. La Nature Intérieure, dès lors qu’on s’appuie sur elle, ne peut pas être trompée. Mais nombre de personnes ne lui prêtent pas attention ni ne l’écoutent et, par conséquent, ne comprennent pas grand-chose à ce qu’ils sont. Et comme ils comprennent peu ce qu’ils sont, ils ont peu de respect envers eux-mêmes et sont donc aisément influençables.

Mais plutôt que d’être tributaires des événements et d’être manipulés par ceux qui sont capables de déceler nos faiblesses et les tendances comportementales dont nous n’avons pas conscience, nous pouvons œuvrer en harmonie avec les caractéristiques qui sont les nôtres et rester maîtres de nos propres vies. La voie de l’indépendance commence par le fait de reconnaître qui nous sommes, quelles sont nos forces et nos faiblesses, et ce qui nous convient le mieux.

      • Comment expliquerais-tu cela, toi ?
      • Avec une petite chanson, me répondit Winnie. Je viens justement d’en inventer une.
      • Eh bien, à toi la parole.
      • Avec plaisir… Ahem.
        Comment pourrais-tu progresser
        Sans même savoir Qui Tu Es ?
        Et faire ce qui te convient
        Sans savoir Ce Que Tu Détiens ?
        Si tu ne sais choisir le Mieux
        Parmi tous les choix sous tes yeux,
        Tu ne construiras à la fin
        Qu’un méli-mélo incertain.
        Si tu sais Qui tu es au fond,
        Tout ce que tu fais sera bon.
        Et voilà, conclut-il en se renversant dans le fauteuil, les yeux fermés.
      • Un vrai chef-d’œuvre.
      • Bon, c’est un peu mieux que d’habitude, peut-être.

Tôt ou tard, nous sommes condamnés à découvrir en nous des choses que nous n’aimons pas. Mais dès lors que nous savons qu’elles sont là, nous pouvons décider d’en faire ce que nous voulons. Préférons-nous nous en débarrasser complètement, les transformer en quelque chose d’autre, ou en tirer profit pour accomplir de bonnes choses ? Les deux dernières approches se révèlent souvent particulièrement utiles car elles évitent la confrontation et minimisent donc les conflits. De plus, elles permettent d’ajouter ces caractéristiques transformées en qualités à la liste des choses qui peuvent nous aider.

De la même façon, plutôt que de lutter pour gommer ce que nous nous représentons comme des émotions négatives, nous pouvons apprendre à en tirer profit de façons positives. Nous pourrions formuler ainsi ce principe : s’il est vrai que taper comme un sourd sur les touches d’un piano ne produit que du vacarme, arracher ces mêmes touches ne nous aide pas d’avantage à composer un morceau. Et ce qui s’applique à la musique s’applique peut-être tout autant à la vie.

      • Qu’en penses-tu, Winnie ?
      • À propos de ? me demanda Winnie en ouvrant les yeux.
      • La musique et la vie…
      • C’est la même chose. »

L’auteur…

Auteur américain né en 1946. On lui doit entre autres (le hasard des éditions traduit également l’évolution des mentalités…) :

      • Le Tao de Pooh (2001),
      • Le Tao de Winnie (2017),
      • Le Te de Porcinet (2001),
      • Le Tao de Winnie: Découvrir les principes du Tao retrouver son âme d’enfant (2024)…

Son site officiel (en anglais) : benjaminhoffauthor.com


[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : librel.be ; babelio.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © DP.


Lire encore en Wallonie-Bruxelles…

JUDET de LA COMBE : Quand les Dieux rôdaient sur la Terre (2024)

Ce qu’ils en disent…

[ALBIN-MICHEL.FR] Zeus, Aphrodite, Athéna, Dionysos, Apollon… Tous les secrets des Dieux et des Déesses qui rôdaient autrefois sur la Terre. Pierre Judet de La Combe nous fait voyager à travers les nombreux mythes de la mythologie : histoires merveilleuses, invraisemblables, inattendues. Un livre pour revivre l’expérience de ce monde ancien et surprenant, où l’Océan, les Fleuves, le Soleil ne sont pas des éléments désincarnés, mais s’adressent aux habitants de la Terre, où les puissances invisibles qui décident des vies et des sociétés humaines descendent de l’Olympe ou surgissent des entrailles de la terre ou de la mer pour se montrer, parler et s’affronter aux humains.

Réunis dans un livre, ces récits ne perdent rien de leur charme addictif.

Le Monde

[LESBELLESLETTRES.COM] Il était une fois, en Grèce, des êtres extraordinaires. Ce sont leurs histoires qui nous sont ici racontées. Des histoires merveilleuses, invraisemblables, inattendues, qui nous propulsent de Troie à Thèbes, et aux limites du monde, entre Ciel et Terre.
Véritable voyage à travers la mythologie, ce livre, qui reprend la première saison de l’émission de France Inter Quand les dieux rôdaient sur la Terre, fait revivre un monde ancien et surprenant, où l’Océan, les Fleuves, le Soleil ne sont pas des éléments désincarnés, mais s’adressent aux habitants de la terre, où les puissances invisibles qui décident des vies et des sociétés humaines descendent de l’Olympe ou surgissent des entrailles de la terre ou du fond des mers pour se montrer, parler et faire face aux humains.
Apollon, le voyou magnifique ; Artémis, belle et féroce ; Hermès, fourbe et farceur ; Prométhée, le voleur de feu… Pierre Judet de La Combe nous rappelle que, si les mythes nous parlent encore aujourd’hui, c’est parce qu’ils cherchent à expliquer la finitude humaine, et que, dans un monde sans salut, ils font surgir en nous le plaisir d’un imaginaire libre et merveilleux, qui permet de se repérer dans les brutalités de la vie.

[PHILOMAG.COM] Tous les samedis matin, l’helléniste Pierre Judet de La Combe ramène les auditeurs de France Inter au temps où les dieux se mêlaient aux humains, ne lésinant pas sur les apparitions sous déguisement et les signes plus ou moins cryptiques. Présenter le corpus mythologique sous un angle neuf n’est pas chose facile : qu’ont encore à nous apprendre Héraclès, Médée, Thésée ou Dionysos ? Pierre Judet de La Combe raconte et revient ainsi aux sources de la poésie grecque, de la transmission orale de récits qui n’avaient rien d’un divertissement mais participaient de la vie spirituelle et politique. Le dieu de l’ivresse et des excès se rapporte ainsi à une certaine appréhension du temps rythmé par les célébrations et la musique, celle des tambours et autres percussions, et non pas celle, harmonieuse, de la lyre d’Apollon. Le voleur de feu Prométhée n’est pas le rebelle que l’on croit mais plutôt le complice d’un Zeus qui s’ennuie de régner sur un monde à l’équilibre trop parfait : y intégrer les humains permet de ramener de l’imprévu, de l’excitation, sans trop non plus menacer l’ordre des dieux. La mère infanticide Médée est peut-être la véritable outsider : alors que Jason la délaisse pour une autre et pour un meilleur statut social, comme n’importe quel mari grec aurait pu le faire, elle se révolte, traite les hommes de « piètres raisonneurs. » On sait la violence du geste qu’elle accomplira – un mystère, commente l’auteur. C’est à toucher un peu de l’énigme de cette civilisation à la fois si proche et lointaine que nous invitent les histoires de Pierre Judet de La Combe : une odyssée à traverser bien au chaud sur son canapé.


JUDET de LA COMBE Pierre, Quand les Dieux rôdaient sur la Terre est paru chez Albin Michel en 2024.

FR

EAN 9782226498236

608 pages

Disponible en grand format et ePub.


Ce que nous en disons…

Quelle belle approche ! Habile conteur, Pierre Judet de La Combe (eh oui, il y a des gens qui s’appellent comme ça…) réussit à nous rendre familière l’intrication des dieux grecs et les contradictions kafkaiennes de leurs actions parmi les humains. On est dans de « l’anti-Marvel » : l’auteur renonce dans chaque chapitre à faire l’hagiographie d’un super-héros spécifique, et rend la complexité des interventions de ceux-là qui trônent sur l’Olympe mais descendent parmi nous rebattre les cartes du quotidien. C’est un helléniste éclairé qui raconte combien les péripéties des différents mythes sont variées et liées au conteur lui-même. Ce faisant, il sait isoler la dorsale profonde de chaque histoire, là où est la leçon immuable qui, déjà dans l’Antiquité, animait la pensée des humains face à ce mystérieux déroulé de phénomènes qu’on appelle depuis longtemps… la Vie.

Patrick Thonart


Bonnes feuilles…

THESEE SERIAL LOVER, SAISON 2 : PHEDRE

Quand les dieux rôdaient sur la Terre…
Il y a très longtemps, en Grèce, il fallait faire très attention avec les dieux. Ils étaient grands, forts, immortels, ils étaient parfois aimants, généreux, aidants, si on savait les prier comme il fallait et leur adresser les bons sacrifices, mais ils étaient aussi très capricieux, comme des gosses. Ils avaient beau être grands, forts, immortels comme doivent l’être des dieux et des déesses normalement constitués, ils avaient aussi une forte tendance à réagir comme nous, les humains. Ils étaient susceptibles, jaloux, colériques, râleurs, mesquins. Si on ne les aimait pas assez, ils devenaient furieux, exactement comme nous.

Nous, les humains, nous étions pour ces dieux des presque rien, des petits mortels voués à vieillir, puis à disparaître, tout leur contraire. Mais ce que les dieux et les déesses aimaient le plus, c’était notre vénération, notre amour, et toutes les offrandes que l’on pouvait leur faire sur leurs autels, lors des sacrifices. Si un dieu se sentait négligé, c’était la catastrophe. En fait, les dieux dépendaient entièrement de nous, les humains.

Les dieux nous regardaient d’en haut, depuis leur Olympe, ou au contraire d’en bas, depuis le fond des mers ou depuis le fin fond de la terre, et ils avaient du mépris pour nos faiblesses, pour notre incapacité à nous guérir de la mort. Nous voir maladroits, malhabiles, peu adaptés à ce monde qu’ils administraient, cela les faisait rire. Mais ils n’attendaient qu’une chose : qu’on leur rende hommage. Sinon, c’était la crise. Ils devenaient méchants, les dieux aussi bien que les déesses, ce qui les amusait : ils y prenaient plaisir. Ils montraient par là qu’ils étaient vraiment les plus forts, eux, les dieux Bienheureux.

Le problème, pour les humains, c’était qu’il y en avait beaucoup, de dieux et de déesses. Il fallait les aimer tous, ou les redouter tous, en leur faisant suffisamment d’offrandes pour qu’ils soient tous bienveillants. Il ne fallait en oublier aucun, et on ne pouvait pas vraiment faire son choix et préférer tel ou tel dieu. Si on aimait trop l’un, ou l’une, une autre divinité pouvait se fâcher, se sentir lésée. Alors, elle frappait fort. Pas seulement pour nous punir, mais aussi pour faire la nique à l’autre dieu, à celui ou celle qui avait été trop aimé, aux dépens des autres. Les dieux se vengeaient entre eux. Bref, ces dieux étaient comme nous.

On pourrait se dire que tout cela ne fait pas une vraie religion, que c’est infantile, un peu bébête, ces dieux perpétuellement jaloux, entre eux et vis-à-vis des humains. De nombreux philosophes de l’Antiquité l’ont pensé, et ils ont protesté contre ces histoires monstrueuses de dieux mesquins, cruels, prêts à tous les vices, des dieux beaucoup trop humains. Ils n’en voulaient plus. Ils voulaient des dieux parfaits, purs, vraiment divins. Mais, Dieu merci, on ne les a pas trop écoutés, pendant longtemps.

En effet, ils sont vraiment intéressants ces dieux, et utiles. Comme ils sont toujours en rivalité les uns avec les autres, comme ils ne se font pas de quartier (sauf quand ils se réunissent pour faire la fête, boire et chanter dans l’Olympe), ils nous rappellent ce qu’est le monde : complexe, difficile, opaque, traversé de forces contradictoires, en opposition les unes aux autres.

On ne peut pas vivre, agir dans ce monde avec des idées trop simples, trop fermées. Il y a toujours un dieu, quelque part, qui peut concocter une mauvaise surprise. Il faut tout envisager, accepter que la réalité ne peut pas se comprendre d’un seul point de vue. Dans ce monde gouverné par les dieux, les humains devaient avoir une intelligence multiple, une « intelligence nombreuse« , comme dit le poète Homère à propos d’Ulysse, ce héros vif et tournoyant, qui a toujours su s’en sortir.

Cette rivalité entre divinités est bien ce qui a mené à sa perte la famille du héros Thésée, le fort et très beau Thésée, dont nous avons commencé à suivre la fabuleuse histoire. Histoire fabuleuse, mais qui montre aussi les faiblesses de ce grand homme, qui n’a pas toujours eu l’intelligence fine et multiple du merveilleux Ulysse, et qui s’est souvent retrouvé le bec dans l’eau, par ses propres fautes.

On a vu combien Thésée était, malgré ses défauts, adoré de la ville d’Athènes, qui en a fait son roi mythique, son véritable fondateur, son idole. Chéri des dieux, et notamment de celui qui passait pour être son père, Poséidon, dieu de la mer, il a accompli de grands exploits, estourbi toute une série de gens très méchants, qui maltraitaient leurs semblables, toute une série de bêtes féroces et monstrueuses, comme le gros taureau qui dévastait le pays de Marathon, au nord d’Athènes. Et, surtout, il a pris la mer et il est allé en Crète pour se battre victorieusement contre le Minotaure, dans le Labyrinthe. Si Thésée pouvait par sa force, par ses muscles, assommer sans trop de problème ce monstre à la fois bovin et humain, il n’aurait as pu échapper au Labyrinthe sans l’intelligence et l’amour d’Ariane, et sans l’aide de son fil. Les gros muscles de Thésée n’auraient pas suffi.

Cette expérience lui a appris que le monde était compliqué, difficile, impossible à maîtriser d’un seul regard. Thésée a eu à affronter un monstre double, animal et humain, dans un Labyrinthe dont la sortie était introuvable sans une ruse, le fil d’Ariane. Thésée a eu de la chance de pouvoir bénéficier de l’amour de quelqu’un d’autre. Seul, il n’aurait pas triomphé.

Ce Labyrinthe était à l’image de ce qu’est le monde pour les humains : une réalité inextricable, difficile à saisir, sans repère fixe, où l’on va et vient, où l’on ne cesse d’être ballotté entre un chemin puis un autre. Il fallait de la ruse pour s’en sortir, et avoir l’appui de quelqu’un. Mais Thésée a oublié tout cela, il n’a pas bien appris la leçon ; ou, plutôt, il est devenu comme le Minotaure, ou comme le Labyrinthe, un être double, indécis, confus, labyrinthique. Sans Ariane, il a perdu le fil.

Ainsi on se souvient que Thésée, après avoir juré un amour perpétuel à la belle riane, l’oublie finalement endormie sur la plage de Naxos, où il fait escale sur le chemin du retour vers la Grèce. Puis Thésée, décidément oublieux, oublie aussi son père, le roi Égée, qui lui avait demandé à son départ de hisser une voile blanche sur son navire, en cas de victoire. Égée qui guette le retour du bateau voit surgir au large une voile funèbre, toute noire et se tue en se jetant dans la mer.

Thésée revient à Athènes, à la fois en triomphateur et en fils afRigé. Ses oublis ne l’ont pas empêché d’être un très grand roi, dit-on. D’abord, il passe pour être le véricable fondateur de la cité d’Athènes. Il a fait de la grande politique, en agglomérant les différentes bourgades du pays en une seule cité, une véritable unité politique. Athènes, grâce à Thésée, est devenue un vaste ensemble territorial, qui réunissait à la fois la ville, la campagne et ses villages, et le bord de mer, dans une belle harmonie physique, humaine, religieuse et politique. Une cité unie.

Thésée a aussi créé les institutions équilibrées, stables et justes, qui permirent à cette grande unité de vivre, de prospérer. Il était même parfois considéré, lui le roi, comme le champion de la démocratie athénienne. Face à un roi étranger, tyrannique et menaçant, qui voulait le contraindre et lui faire la guerre, Thésée aurait dit fièrement:

Rien n’est plus ennemi d’une cité qu’un tyran.
D’abord, parce que avec un tyran, il n’y a pas de lois
communes. Un seul homme a le pouvoir et fait de la loi sa chose à lui, et il n’y a plus aucune équité.
Quand il y a des lois écrites, l’homme démuni
et le riche ont droit à une justice égale.
Les démunis ont la possibilité de s’en prendre
aux fortunés avec les mêmes mots, si on parle mal d’eux. Le petit l’emporte sur le grand, s’il a le droit pour lui. […]
Quand le peuple a l’autorité sur un pays,
il se réjouit de pouvoir compter sur de jeunes habitants. Le roi a cela en horreur.
Il tue les meilleurs, ceux dont il pense qu’ils réfléchissent,
car il tremble pour son pouvoir tyrannique. Comment une cité pourrait-elle rester forte si, comme l’épi dans une prairie de printemps, on extirpe la bravoure et on fauche la jeunesse ?

[Euripide, Suppliantes, v. 429-449]


L’auteuR…

Pierre Judet de La Combe (né en 1949) est helléniste et philologue, directeur d’études à l’EHESS et directeur de recherche au CNRS. Il a traduit et commenté de nombreux textes de la poésie et du théâtre grecs et participé à plusieurs productions théâtrales (avec Ariane Mnouchkine, notamment). On lui doit, chez Albin Michel, la nouvelle traduction de l’Iliade (Tout Homère, 2019), et L’Avenir des Anciens. Oser lire les Grecs et les Latins (2016). Tous les samedis matin, sur France Inter, il anime l’émission à succès Quand les dieux rôdaient sur la Terre dont le livre est une adaptation.


[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : librel.be ; albin-michel.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © telerama.fr.


Lire encore en Wallonie-Bruxelles…

DE LUCA : Récits de saveurs familières (Spizzichi e bocconi, 2025)

Ce qu’ils en disent…

[GALLIMARD.FR] Erri De Luca nous invite à un voyage gustatif dans lequel chaque plat, chaque expérience culinaire ouvre une porte sur un souvenir. Des épisodes et des lieux, issus de son enfance ou de sa vie d’adulte, ressurgissent grâce à une mémoire sensorielle : les déjeuners du dimanche au parfum de ragù, les repas pris sur des chantiers ou en montagne, l’ambiance chaleureuse des osterie populaires où la jeunesse militante côtoyait la classe ouvrière. En écho à chaque récit, Valerio Galasso, nutritionniste et ami, livre des conseils pratiques et des clés pour de saines habitudes alimentaires. De sa plume limpide et poétique, Erri De Luca se dévoile tout en poursuivant l’exploration des thèmes qui lui sont chers. Dans ce livre intime, traversé par les traditions culinaires italiennes, la cuisine devient un langage de transmission et de partage, jusque dans les recettes familiales proposées en fin d’ouvrage.


DE LUCA Erri (né en 1950), Récits de saveurs familières est paru chez Gallimard en 2025, dans une traduction de Francesca Melandri.

IT > FR

EAN 9782073016218

256 pages

Disponible en grand format et ePub.


Bonnes feuilles…

À table on se bat avec la mort

Erri de Luca : Ma grand-mère Emma disait qu’à table on se bat avec la mort. Ça me semblait exagéré, mais je ne demandais pas d’explication. Par tempérament, je n ‘ai pas connu la pétulance du pourquoi. Je devais comprendre tout seul, comme pour les autres choses des adultes.
Le proverbe de ma grand-mère était un avertissement : le morceau pouvait s’introduire de travers dans la trachée au lieu de l’oesophage.
Tout le monde a été victime de ce genre d’incident, qui se règle la plupart du temps avec une claque dans le dos du plat de la main.
Dans des cas plus graves, on risque l’étouffement. On peut alors effectuer un geste inventé exprès, la manoeuvre de Heimlich. En prenant la personne qui s’étouffe de dos, au niveau du sternum, et en exerçant de fortes compressions vers le haut, on peut lui sauver la vie.
Les journaux rapportent des cas mortels et aussi des sauvetages en temps opportun.
À table on se bat avec la mort : il ne faut pas parler la bouche pleine par mesure de prévention. Puis c’est devenu un signe de bonne éducation.
Avec le temps, j’ai compris qu’un comportement correct à table protège des morceaux avalés de travers. Se tenir assis le dos droit et non courbé, les coudes collés au buste, jamais posés sur la table, porter les aliments à sa bouche et non pas se pencher sur eux, manger de petites bouchées. Enfant, j’apprenais ces règles en les supportant comme des contraintes formelles. Elles ne l’étaient qu’en partie. Elles éduquaient à la position de sécurité.
Chaque fois qu’il m’arrive d’avaler de travers, il est évident que j’ai transgressé les consignes.

Valerio Galasso : Ton récit m’a fait sourire, parce que mon père nous a toujours répété cette phrase, à mes frères et à moi. Un jour où nous étions à Anzi, dans la campagne lucanienne, mon jumeau Chicco a failli s’étouffer avec un trop gros morceau de pêche – quelques secondes de panique, puis il a heureusement réussi à l’avaler.
Il est recommandé d’éviter les trop grosses bouchées et de compter au moins dix mastications pour chacune – comme j’aime le dire à mes patients, « posons nos couverts » entre deux bouchées ! La mastication est en effet la première phase de la digestion : ce qui se passe une fois les couverts posés dans l’assiette détermine le destin de l’aliment et de ses nutriments au cours des vingt-quatre à trente-six heures suivantes. C’est pourquoi il est si important de bien mâcher, en réduisant la bouchée à une bouillie afin que les enzymes salivaires puissent accomplir au mieux leur devoir. Notre salive est riche en substances chimiques et en bactéries utiles pour digérer les aliments dès les premières secondes de mastication : prolonger cette action permet à ces substances de pénétrer à fond dans l’aliment et de briser les grandes chaînes typiques de certains glucides. La ptyaline, par exemple, est une enzyme nécessaire à la digestion des longues chaînes de l’amidon présent dans les pâtes, le pain, la pizza et les pommes de terre.
Moins nous mâchons et plus le travail que l’estomac et l’intestin devront faire en aval sera important : digérer des morceaux entiers demandera une production de sucs gastriques plus conséquente, délétère pour ceux qui souffrent de reflux. Et, si nous mangeons trop vite, il est très probable que nous aurons du mal à digérer et que nous nous sentirons ballonnés, parce que nous aurons avalé plus d’air que de nourriture et que nous n’aurons pas laissé la salive dégrader l’amidon. Les aliments, souvent encore en morceaux, passent de l’estomac à l’intestin, un tuyau long de sept mètres environ qui, par sa ressemblance et ses fonctions primaires, est aussi appelé le deuxième cerveau. Hippocrate disait que toutes les pathologies proviennent précisément de l’intestin, ce que j’approuve totalement. Il faut donc donner les bons nutriments à cet organe important, et sous une forme correcte. Un aliment mal digéré est perçu comme un ennemi par le système immunitaire qui se met alors à l’attaquer : on se fatigue, on fatigue l’imestin et on favorise l’inflammation, terrain fertile pour des maladies inflammatoires chroniques, auto-immunes et des tumeurs. Traitons donc bien notre intestin et le reste de notre corps nous remerciera.
Un autre aspect fondamental d’un point de vue éducatif et anatomique est la bonne position à table : le dos droit et les coudes serrés. Se pencher sur l’assiette crée un écrasement du diaphragme sur l’estomac, rend la respiration difficile, réduit les dimensions du lieu d’accueil du bol alimentaire et prédispose à une très mauvaise digestion. En gardant une position droite, et en faisant une promenade après le repas, nous faciliterons le transit de la nourriture et sa digestion dans l’estomac.
Dire qu’à table on se bat avec la mort peut te sembler exagéré, mais pour moi non, car à table on fait de la prévention et on soigne.


L’auteur…

Erri De Luca (originellement prénommé Enrico, il a adopté ensuite la forme italianisée de Harry) est né à Naples en 1950, dans une famille bourgeoise appauvrie par la guerre. Il grandit dans le quartier populaire de Montedidio, qui donnera son titre à l’un de ses romans les plus célèbres. [lire la suite dans notre article sur Montedidio]


[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : librel.be ; gallimard.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © igolfo24.it ; © Gallimard.


Lire encore en Wallonie-Bruxelles…

    DELFORGE : Citoyenne Anne-Josèphe Théroigne. Pionnière du féminisme (1789-1794) (2022)

    Ce qu’ils en disent…

    [INSTITUT-DESTREE.EU] Arrivée à Paris au printemps 1789, une jeune femme du pays wallon se prend de passion pour la Révolution française en train de naître. Soulevée par le tourbillon des événements, cette fille de la campagne devient une actrice de la Grande Histoire.
    Jusqu’en 1794, dans les tribunes de l’Assemblée nationale, dans les rues et les cercles de Paris, Anne-Josèphe Théroigne tente avec ardeur de faire entendre la voix des femmes, persuadée que les principes de la toute nouvelle Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen s’appliquent à tous les hommes et à toutes les femmes. Surnommée dès 1792 « l’amazone de la liberté », elle découvre à ses dépens que la réalité est bien différente.

    Connue du tout Paris, elle fréquente Marat, Danton, Pétion, Robespierre, Desmoulins et bien d’autres acteurs majeurs de cette courte période appelée à changer le cours de l’Histoire. Était-elle girondine ou montagnarde ? Une égérie, une intrigante ou une héroïne ? Une porte-parole ou une passionnée égarée ? Analysés au même titre que les témoignages de ses contemporains, ses rares écrits et ses attitudes révèlent une pionnière du féminisme. Elle revendique le statut de citoyenne, d’avoir des droits dans la Cité, à l’égal de tous les hommes.
    Moquée, raillée, ridiculisée, déconsidérée, elle est jugée comme folle par tous ceux qui ne veulent pas entendre ses revendications, et condamnée à passer les vingt-trois dernières années de sa vie séquestrée. Son engagement personnel total pour la liberté n’a pas conduit à la reconnaissance de l’égalité entre les hommes et les femmes de son vivant. Mais son exemple, suivi par d’autres générations, lui donne une place dans l’Histoire en tant que pionnière de la libération des femmes et agitatrice révolutionnaire.

    [GALLICA.BNF.FR, 31 octobre 2022] Il y a 260 ans naissait Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt (1762-1817). Elle va connaître les temps troublés de la Révolution française, échappe de justesse à la guillotine mais son sort est-il enviable pour autant ?
    Originaire de la région de Liège, Théroigne connaît une existence tumultueuse et romanesque. Quittant la Belgique, elle traverse de nombreux épisodes rocambolesques en Italie et en France. Pourvue d’un physique agréable, la Belle Liégeoise – comme on la désignait à l’époque – acquiert une réputation sulfureuse de demi-mondaine se faisant entretenir pour subvenir à ses besoins. Personnage haut en couleurs, féministe avant l’heure, elle rejoint les rangs des Girondins à l’Assemblée nationale en 1789 et se fait connaître en rédigeant elle-même ses discours. En 1793, les Montagnards prennent l’ascendant et se débarrassent des Girondins. La jeune femme est prise à partie par des tricoteuses à l’Assemblée nationale et subit une fessée en public. Est-ce à l’origine du basculement de sa raison ? Faut-il attribuer sa folie aux ravages de la vérole (ou syphilis) contractée quelques années auparavant ? ou bien encore à la peur de la guillotine après son arrestation par les révolutionnaires ? En effet, à partir de 1793, l’épisode de la Terreur avec son climat de menace permanente et son terrible instrument, la guillotine font basculer certains individus dans la folie. On imagine les affres par lesquelles passaient les prisonniers dont les noms étaient susceptibles de figurer sur la liste quotidienne des condamnés à mort. Une peur atroce qui se répétait parfois pendant des jours, voire des semaines. Ainsi à l’Asile de Bicêtre, certains survivants prétendaient qu’on leur avait tranché la tête et recousu celle d’un autre à la place. En 1793, Philippe Pinel, directeur de Bicêtre estime que 33 % des aliénés ont été traumatisés par la Révolution, opinion que partage son élève Esquirol.
    Toujours est-il que le constat de l’état de démence de Théroigne de Méricourt la sauve de la décapitation. Elle est internée d’abord aux Petites-Maisons, puis passe vingt ans à l’hôpital de la Salpêtrière. De nouvelles loges pour aliénées y avaient été construites par l’architecte Charles-François Viel en 1789. Les anciens locaux particulièrement vétustes et malsains des basses loges ainsi que le matériel de coercition (chaînes, carcans) ne seront supprimés qu’au début du XIXe siècle, sous l’impulsion donnée par le médecin-chef de l’hôpital, Philippe Pinel. A partir de 1812, c’est l’autre grand aliéniste Jean-Etienne Esquirol qui s’intéresse à son cas et le classifie. Dans Des maladies mentales, il prend Théroigne comme exemple de Lypémanie (du verbe grec signifiant chagriner). Il prétend désigner ainsi la tristesse pathologique du mélancolique. Mais ce terme rencontrera peu de succès. A son arrivée [à la Salpêtrière en 1807], elle était très agitée, injuriant, menaçant tout le monde, ne parlant que de liberté, de comités de salut public, révolutionnaire, etc. accusant tous ceux qui l’approchaient d’être des modérés, des royalistes, etc. En 1810, elle devint plus calme et tomba dans un état de démence qui laissait voir les traces de ses premières idées dominantes. Théroigne ne veut supporter aucun vêtement, pas même de chemise. Tous les jours, matin et soir, et plusieurs fois le jour, elle inonde son lit ou mieux la paille de son lit, avec plusieurs seaux d’eau, se couche et se recouvre de son drap. Elle se plaît à se promener nu-pieds dans sa cellule dallée en pierre et inondée d’eau…Les signes de sa folie sont particulièrement attractifs pour les curieux : agitation extrême, exhibitionnisme, rituel d’aspersion d’eau glacée sur sa paillasse – ce qu’on appellerait aujourd’hui un TOC. La malheureuse est de ce fait traitée comme un animal de foire lors des visites dominicales à la Salpêtrière.
    Contre toute attente, Théroigne survit pendant vingt-sept années à un tel régime, faisant preuve d’une résistance physique surprenante. L’opinion publique prendra progressivement conscience des conditions d’existence scandaleuses réservées aux aliénés.

    Françoise Deherly

    [XHORIS.BE] Comment ne pas évoquer sur ce site Anne Josèphe Théroigne de Méricourt, puisque ses racines viennent tout droit de notre petit village. ‘Anne Joseph Therwoigne’ dont le surnom était Lambertine (vous admettrez que ce surnom est un peu moins « pompeux » que son nom historique), était la fille de Pierre Terwagne et de Anne Elisabeth Lahaye – ceux ci se marient à Marcourt le 4 octobre 1761. Anne Josèphe est née le 13 août 1762 à Marcourt (selon le village, l’orthographe du nom peut varier, à Xhoris vous la trouverez sous’ TERWOIGNE’).


    DELFORGE Paul, Citoyenne Anne-Josèphe Théroigne. Pionnière du féminisme (1789-1794) est paru aux éditions de l’Insttiut Jules Destrée en 2022. Il est disponible sur commande, via commandes@institut-destree.eu.

    ISBN 978-2-87035-057-7

    FR

    444 pages

    Disponible en grand format (avec une couverture de Rachel Thonart Nardellotto / RTN—STUDIO).


    Ce que nous en disons…

    Attendez, on n’a pas encore fini de le lire ! Mais on fait confiance à la qualité du travail de Paul Delforge, dans le registre du sérieux comme dans la capacité didactique. Affichez n’importe quelle page (de sa main) d’un des quatre tomes de l’Encyclopédie du Mouvement wallon et vous nous comprendrez…

    Patrick Thonart


    L’auteur…

    Historien formé à l’Université de Liège, il est directeur de recherches à l’Institut Destrée où il consacre ses travaux à l’histoire de la Wallonie, du Mouvement wallon et à l’étude du fédéralisme.
    Conseiller pédagogique, responsable du Centre de Recherche & Archives de Wallonie, il est le coordinateur des quatre tomes de l’Encyclopédie du Mouvement wallon.


    En savoir plus…


    [INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : institut-destree.be ; bnf.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © levif.be.


    Lire encore en Wallonie-Bruxelles…

    GAUQUELIN : De mémoire d’arbre (2024)

    Ce qu’ils en disent…

    [SOCIETEBOTANIQUEDEFRANCE.FR] « Je m’appelle Adrouman et j’ai 517 ans… » Notre collègue Thierry Gauquelin, Professeur émérite à l’Université d’Aix Marseille, publie De mémoire d’arbre, un roman scientifique aux éditions Tana.

    Je m’appelle Adrouman et j’ai aujourd’hui 517 ans… Ou à peu près. Je suis un arbre, un genévrier thurifère, Juniperus thurifera en latin. J’habite les hauts sommets de l’Atlas marocain, là où seuls les individus de mon espèce peuvent se développer, entre la rigueur de l’hiver et la sécheresse de l’été. Les conditions de ma naissance m’ont été contées par un proche voisin et ami, mon aîné d’une centaine d’années… En l’an 1505, 910 de l’hégire, à l’heure du soleil couchant d’une fin d’octobre.

    C’est sur ces mots […] que s’ouvre le roman. Il s’agit du récit, à la première personne, d’un très vieux genévrier des Atlas marocains, qui nous raconte ses cinq siècles d’existence, au milieu des siens. Les premiers chapitres concernent sa naissance, sa croissance, sa morphologie (son tronc, ses feuilles, ses racines, etc) et son environnement forestier immédiat. L’occasion d’aborder son adaptation aux conditions difficiles de la haute Montagne.

    Ce sont ensuite les rencontres qu’il a pu faire, de Léon l’Africain, à l’origine de sa naissance, au Maréchal Lyautey, défenseur des forêts marocaines. Mais aussi avec des animaux, comme le dernier lion de l’Atlas qui vient mourir à son pied. Illustration de la perte de biodiversité… Il dévoile également l’expérience scientifique unique dont il a été le protagoniste, qui permet d’évoquer la recherche scientifique en écologie.

    On se retrouve immergé au cœur des Atlas marocains, où destin des arbres et destin des hommes s’entrecroisent. Notre genévrier est ainsi confronté tant à la hache du berger et à la dent du troupeau qu’au changement climatique auquel il doit s’adapter. Le vieil arbre nous pousse alors à réfléchir à la pression que nous exerçons sur le vivant. C’est aussi un appel pour cesser de considérer les arbres comme des choses esthétiques ou utilitaires, et les voir enfin pour ce qu’ils sont, des colocataires de la même planète, indispensables à notre propre survie.

    [LISEZ.COM] Quand un genévrier des Atlas marocains séculaire nous raconte son existence semée d’embuches et de rencontres. Si les arbres pouvaient parler… Ce roman écrit à la première personne nous immerge au coeur des montagnes, dans une nature aussi fascinante que rude, où le destin des arbres et celui des hommes sont étroitement liés. Confronté tout à la fois à la hache du berger et à la dent du troupeau, un genévrier de l’Atlas marocain raconte ses cinq siècles d’existence. Le vieil arbre nous pousse à réfléchir à la pression que nous exerçons sur le vivant. C’est aussi un appel pour cesser de considérer les arbres comme des choses esthétiques ou utilitaires, et les voir enfin pour ce qu’ils sont : des colocataires de la même planète, indispensables à notre propre survie.


    GAUQUELIN Thierry, Prénom, De mémoire d’arbre est paru chez Tana en 2024.

    FR

    EAN 9791030105476

    160 pages

    Disponible en grand format et ePub.


    Ce que nous en disons…

    L’idée pouvait facilement basculer dans la ringardise scolaire : donner la parole à l’objet que l’on veut documenter (« Bonjour, les petits enfants, je m’appelle ‘climat’ et je me réchauffe un peu plus tous les jours…« ). Thierry Gauquelin a réussi la gageure et à aucun moment on ne doute de la noble parole de cette arbre qui affiche plus de 5 siècles au compteur. « Cette » car il s’agit d’une arbre femelle. Le saviez-vous : dans le cas des plantes dioïques, les arbres ou les fleurs femelles produisent des graines de fruits quand les fleurs ou les plantes mâles produisent du pollen. Nous voilà instantanément plus malins ! « Compteur » car Dame Thurifera a vu passer de nombreux scientifiques sous sa canopée, qui ont établi les données que l’auteur liste également. La beauté de cet ouvrage est ailleurs : si la pédagogie est évidente et la vulgarisation efficace, les savoirs ne sont rien s’ils ne mènent à la connaissance. Or, le dispositif utilisé par Gauquelin nous accorde avec l’intimité et l’histoire de ce genévrier et les péripéties de sa longue existence résonneront longtemps dans le coeur du lecteur. Pas question d’ennui, pas question d’études en vue d’un examen : chacun peut goûter et partager un vrai témoignage et, comme dans les meilleurs dessins animés, donner un visage à ce tronc centenaire. Et avec le visage authentique naît le dialogue…

    Patrick Thonart


    Bonnes feuilles…

    Genévrier thurifère de l’Atlas © Margaux Bidat

    L’auteur…

    Thierry Gauquelin est professeur émérite à Aix-Marseille Université et membre de l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie marine et continentale (IMBE). Il s’intéresse depuis plus de quarante ans à la biodiversité et au fonctionnement des écosystèmes forestiers, notamment méditerranéens et montagnards.


    [INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : e.a. librel.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © lamarseillaise.fr.


    Lire encore en Wallonie-Bruxelles…

    POPOVIC : Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans arme ? (2017)

    Ce qu’ils en disent…

    [PAYOT-RIVAGES.FR] Voici le livre des révolutions possibles, celles que nous pouvons faire, nous, les gens ordinaires. Il part d’un principe : si l’on veut lancer rapidement un mouvement de masse à l’époque d’Internet et de la société des loisirs, l’humour (et un peu de stratégie) est une « arme » de choix. Il s’appuie sur une expérience acquise dans près de cinquante pays aussi bien que sur les enseignements de Gandhi et du stratège Gene Sharp. Et il prend la voix exceptionnelle de Srdja Popovic, apôtre de la lutte non violente, qui fit tomber Milosevic, fut de toutes les « révolutions fleuries » (Géorgie, Liban, Ukraine, etc.), et est considéré comme « l’architecte secret » du printemps arabe. Il nous fait entrer dans les coulisses des événements historiques du XXIe siècle. Il raconte ce qui marche et comment ça marche. Il explique aussi pourquoi cela échoue parfois, comme en Ukraine ou en Chine. Son livre réconcilie avec l’action politique et montre combien il est crucial d’aller au bout des choses. Car il ne suffit pas de protester ou de faire la révolution, il faut aussi avoir une vision claire de ce qu’on fera de la liberté.
    Srdja Popovic est né en 1973. Fan des Monthy Python, soutenu par Peter Gabriel, il a fondé le mouvement Otpor! qui permit en 2000 la chute de Milosevic. Depuis, on vient le consulter du monde entier. Pressenti en 2012 pour le prix Nobel de la paix, il dirige le Centre for Applied Non Violent Action and Strategies (Canvas) et enseigne depuis 2013 l’activisme politique non violent à la New York University.

    [CAMPUS.ULIEGE.BE] Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans arme ? C’est une bonne question. Srdja Popovic, leader du mouvement « Otpor! » qui a permis de faire tomber le dictateur Milosevic en Serbie, nous explique comment il s’y est pris avec son équipe en se reposant sur les enseignements de Gene Sharp, bien connu des mouvements de lutte non violente. Commencez petit, élaborer une stratégie précise, soyez non violent, utilisez l’humour… Ce sont quelques-uns des conseils qu’il donne à ses élèves révolutionnaires et qu’il développe dans son livre. L’écriture est fluide, claire et légère malgré les sujets compliqués qu’il rapporte. Il est très facile de se plonger dedans et d’imaginer notre propre révolution. Nul besoin d’avoir un dictateur à faire tomber pour lire cette pépite. Il suffit juste d’imaginer une cause qu’on aimerait défendre et tous les conseils peuvent prendre forme directement dans du concret. Je vous souhaite une bonne révolution.

    Léa Leroy

    [FRBALTA.FR] Srdja (prononcez « sérédjia ») POPOVIC nous propose un petit manuel du parfait activiste non violent. Un livre que nos gilets jaunes n’ont probablement pas lu, mais qu’ils devraient lire de toute urgence. Riche de l’expérience d’avoir participé à la chute de MILOSEVIC, d’avoir été en contact avec beaucoup de groupes d’opposants sur la planète entière, et des réflexions tirés d’échecs retentissants, l’auteur nous propose quelques lois générales pour guider une action qui vise, non seulement à renverser un pouvoir autoritaire mais à instaurer un système plus démocratique, c’est-à-dire un système dans lequel les intéressés participent aux décisions qui les concernent. Partant du constat d’un rapport de forces inégal, la question qui se pose est de définir des stratégies et des tactiques qui transforment la faiblesse en force et retournent la violence contre ceux qui l’utilisent. A la fois optimiste et réaliste, les principes généraux qui nous sont donnés relèvent du bon sens… et d’une réelle difficulté dans leur mise en application. Trouver un ennemi commun est sans doute l’étape la plus facile. Et les dictateurs se désignent volontiers pour tenir ce rôle. Mais là déjà apparaissent les premières difficultés : comment ne pas se laisser aspirer dans une violence mimétique qui, au nom de l’injustice, non seulement va se montrer elle-même injuste (elle ne frappera que ce qu’elle a sous la main, et pas le pouvoir qui l’opprime) mais elle risque fort de se faire totalement écraser à cette occasion, et n’aura finalement produit que d’inutiles martyrs. Il y a beaucoup de points communs entre l’approche non violente politique et l’orientation solution en thérapie. Et des différences aussi, bien sûr. Coté points communs, par exemple : définir un objectif important pour les personnes et attractif, et pas seulement négatif (plus (=0) de dictateur n’est pas identique à plus (+) de démocratie), plutôt des petits pas (ce qui permettra à la fois de célébrer une victoire, d’augmenter la confiance, et de définir le pas suivant), créer un espace ludique, sympathique, rassurant et motivant, modifier les tactiques en fonction de leurs résultats immédiats (se laisser guider par les effets des actions), mobiliser l’environnement pour qu’il soutienne le changement… Côté différences, il y a bien sûr l’intensité de la peur d’affronter non pas le changement lui-même, mais la peur elle-même, tout à fait légitime puisque c’est par cette émotion que les dictateurs imposent leur loi (et avec la corruption aussi bien sûr). C’est là qu’il faut du collectif, de la persévérance, et de l’humour mis en actes par les techniques d’un « dérisionnisme » imaginatif et créatif. D’autant que la non-violence ne protège pas de la violence utilisée par ceux qui veulent garder le pouvoir. C’est donc parfois sa vie elle-même qui risque d’être le prix à payer sur le chemin de ces luttes. Si les activistes ne cherchent pas le martyre, ils peuvent le rencontrer bien malgré eux. Il faut donc être prêt à l’assumer. Et même la mort parfois…


    POPOVIC Srdja, Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit, et sans armes est paru dans la Petite Bibliothèque Payot en 2017, dans une traduction de Françoise Bouillot.

    EN > FR

    EAN 9782228917636

    336 pages / Disponible en ePub et poche.


    Ce que nous en disons…

    De Frameries à Washington, de Moscou à Tel Aviv : que lire d’autre par les temps qui courent ?

    Patrick Thonart


    L’auteur…

    Srdja Popovic est le fondateur du mouvement Otpor! qui est à l’origine de la chute de Milosevic en 2000. Il dirige le Center for applied non violent action and strategies et enseigne l’activisme politique non violent à la New York University. […] Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit, et sans armes [est un] manifeste et guide de l’action non violente, de surcroît bourré d’humour.


    [INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : e.a. librel.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © everydayrebellion.net.


    Lire encore en Wallonie-Bruxelles…

    RINGELHEIM : La seconde vie d’Abram Potz (2005)

    Ce qu’ils en disent…

    [ESPACENORD.COM] « J’ai tué un homme qui ne m’avait rien fait. Moi ! Moi, Abram Potz, de mes mains crevardes et frigides, sans mobile apparent, j’ai jeté un homme à la mort. J’ai aboli une âme. Et voici que ce premier crime m’apporte, je ne dirai pas la joie de vivre – je n’en demande pas tant -, mais une raison de différer mon trépas. Je suis moins pressé de mourir, je sens en moi une alacrité nouvelle… » Abram Potz, psychanalyste juif ashkénaze au rancart, vieillard disloqué, à la mémoire vacillante mais perverse, au sexe grabataire mais têtu, promène sa décrépitude dans les rues de Paris. Il observe avec une délectation amère la répulsion et l’effroi que, partout, son apparition suscite. Et il ricane : Ô jeunesse ennemie ! Pour se venger de sa déréliction et conjurer le désespoir, il se lance en claudiquant dans une carrière d’assassin. Il rêve d’un procès d’assises en guise de cérémonie des adieux, où, face à une société ingrate, il proclamerait les droits de l’homme vieux. Ses confessions nous plongent, avec un cynisme attendrissant et un humour implacable, dans les affres de la vieillesse.

    [CRITIQUESLIBRES.COM] Bien remplie, la seconde vie d’Abram Potz. Bien remplie mais courte. Forcément. A quatre-vingt six ans, on ne peut pas dire qu’on l’a devant soi, sa vie. Alors, pour ce qu’il en reste, pourquoi ne pas s’amuser un peu ? Pourquoi ne pas reprendre pour soi le programme de Thomas de Quincey : De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts ? Devenir le doyen mondial des tueurs en série ? Passer à la postérité en bravant à la chaîne l’interdit capital ? Aussi tôt dit aussitôt fait : « J’ai tué un homme qui ne m’avait rien fait« . L’incipit est là, sobre et brutal. Le roman sera le récit de ce premier meurtre et de ceux qui le suivront.
    « Je suis un psychanalyste juif ashkénaze en voie de décomposition, à la mémoire déclinante, à l’intelligence essoufflée, au sexe grabataire. » Tout Potz tient dans cet autoportrait. Tout Potz que nous découvrirons tour à tour psychanalyste (il lui reste quelques clients), juif (qu’est-ce qu’un juif ? Le juif, c’est l’autre.), déclinant des neurones (le combat permanent contre Alzheimer), paralysé du sexe (malgré le dévouement patient de certaines dames). Tout cela et bien plus : vieux. Vieux portant comme un fardeau l’horreur de la déchéance et décidé à se venger des jeunes : « Ô jeunesse ennemie ! Je hais les jeunes autant que je leur fais horreur. Eux et moi nous sommes faits pour nous haïr : ils sont ce que je fus, je suis ce qu’ils seront. » A travers ces échos de Corneille perce un nihilisme à la Cioran qui trouvera bientôt un autre exutoire que les mots. « La solitude du vieillard est un avant-goût du néant. » Après Cioran, c’est Sartre que revisite Abram Potz : « l’enfer, c’est les jeunes. » Enfin vient le tour d’Autant-Lara, avec cette exclamation qui rappelle le Gabin de La traversée de Paris : « Salauds de jeunes ! »
    C’est qu’elle est lourde à porter, la vie d’un vieillard. C’est qu’il est souvent cruel, le regard des jeunes, ou seulement des moins vieux. C’est que ce n’est peut-être pas la mort qui est notre ennemie, mais ce lent pourrissement sur pied : la vieillesse. Potz décrit ce compagnonnage avec un mélange d’ironie et de lucidité : « Chaque soir, quand je me couche, je pense que j’ai des chances sérieuses de ne pas me réveiller. Alors, à toutes fins utiles, je me dis adieu. » « C’est peu dire que la mort rôde : elle est collée à mon dos comme une ventouse. Qu’est-ce qu’elle attend ? Assis dans mon fauteuil, je tue le temps. Faux : on ne tue pas le temps, c’est lui qui nous tue. » « La peine de mort, je la demande comme une grâce : la peine de vie est pour moi la peine capitale. »
    Alors, pour tuer le temps, Potz tue. Un peu au petit bonheur, la première fois. Puis avec méthode, avec application. Avec talent. Sous le regard, ou presque, du juge Goth (God ?), le héros du premier roman de Foulek Ringelheim qui joue un peu le rôle du personnage reparaissant donnant une cohérence à cette œuvre naissante. Sous le regard, aussi, de l’analyste qui est en lui : après le premier meurtre, Potz se sent fatigué, il a beaucoup marché, ses chevilles sont enflées d’œdème. œdipe, oui. Tuer, c’est toujours un peu tuer le père. Ou le Père.
    Et la geste de Potz ira jusqu’à son terme. Potz partagé entre le désir de mourir à son tour, de voir ses actes enfin reconnus, de connaître l’apothéose d’un beau procès ou, simplement, d’un belle fin, d’un dénouement de tragédie. Un dénouement bien juif, somme toute, qui évoque aussi celui du Rhinocéros d’Ionesco. Un dénouement faute de mieux, peut-être. Faute de pouvoir mettre en œuvre ce suprême fantasme d’Abram Potz, cet ultime sacrilège de vieux clown : « Dommage que l’on ne puisse mourir à volonté, d’une bonne poussée, comme on vide ses intestins, comme on évacue un calcul aux reins. On pousserait, on pousserait, et on expulserait son âme comme un excrément. On mourrait dans son froc. Comme ce serait simple. »


    RINGELHEIM Foulek, La seconde vie d’Abram Potz est paru chez Luc Pire en 2005. Il est disponible chez Espace Nord depuis 2014.

    FR

    EAN 978-2-930646-93-0

    192 pages

    Disponible en grand format, ePub et poche.


    Ce que nous en disons…

    C’est en juriste qui connaît les mots (sa matière première, l’objet de son artisanat) que Ringelheim préfère « seconde vie » à « deuxième vie. » Après deuxième vient troisième, etc., alors que second est final. Quand on a les orteils (froids) au bord du vide, il est toujours possible de céder aux roucoulements suaves de la Camarde. Il est également jouable de se réinventer une dignité rien qu’à soi, dans l’état bien connu de l’after. Potz est un vrai vieux dégoûtant, un authentique Pervers Pépère que ni Gotlib, ni Wolinski, n’auraient renié : Carmen Cru doit être une fan inconditionnelle. Reste que, la goutte au nez, sa superbe est jubilatoire et elle promène dans un cabas pourri les vraies questions, celles dont les minettes effarouchées ne se doutent pas encore. Lisez, lisez plus, lisez mieux…

    Patrick Thonart


    Bonnes feuilles… (de mémoire)

    Après-midi

    Mon/ton/ son/ ma/ta/ sa… notre/votre/leur… nos/vos/leurs. Mon tonton, nos voleurs. Paul Linbourg, l’instituteur, nous apprend les adjectifs possessifs en chantant. Il bat la mesure des deux mains, son gros crayon rouge et bleu dans la droite, sa règle dans la gauche. Mon tonton, nos voleurs. Je fous, nous foutons, vous foutrez, que je foute, foutant, foutu. Limbourg porte des pantalons noirs à rayures grises et des jarretelles aux mollets pour retenir ses chaussettes. Nos voleurs ! Je fais un clin d’ œil à Jean Massin. Hier, après les cours, nous sommes entrés dans la classe par la fenêtre et nous avons volé des bons points et des cartes d’honneur dans le bureau de l’instituteur. Nous avons pris aussi les collections d’images de chocolat qu’il nous avait confisquées : les voyages de Gulliver.

    Or Perrette ayant dansé tout l’été ouvre un large bec, laisse tomber sa proie et aperçoit deux yeux qui flamboyaient… Booz dormait, il avait deux trous rouges au côté droit et les enfants du loup se jouaient en silence, tandis que le lièvre, n’ayant que les os et la peau s’enfuit et court encore : que vouliez-vous qu’il fit contre trois ? Songe, songe, Céphise, à Ulysse qui fit un beau voyage et conquit la toison ou à Tytire qui petulae recubans sub tegmine fagi… Ô puissance du temps ! Ô légères années ! Ô Lac, où un noyé pensif parfois descend… c’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes… Dites, avons-nous assez navigué dans une onde mauvaise à boire ? Ô seigneur, c’est sur cette pierre, où elle venait s’asseoir, que j’ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre, tandis que le jour rayonnait dans un azur sans bornes… alors, alors un soir de demi-brume à Londres, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port ; ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés et le dieu Kneph en tremblant ébranlait l’univers… où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale, car Raminagrobis fait en tous lieux un étrange carnage. Fi, vous dis-je.

    J’ai recraché tout ça d’une traite. La mémoire du cœur est immortelle…


    L’auteur…

    © cclj.be

    Né en 1938 à Ougrée, Foulek Ringelheim a été avocat puis magistrat, membre du Conseil supérieur de la justice et rédacteur en chef de la revue Juger. Son roman La Seconde Vie d’Abram Potz a reçu le prix France-Communauté française de Belgique en 2004 et le prix des lycéens en 2006. Foulek Ringelheim est décédé le 15 septembre 2019.


    [INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : librel.be ; espacenord.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © bx1.be ; © cclj.be.


    Lire encore en Wallonie-Bruxelles…bx1.be

    PHILIPPON : Papi Mariole (2025)

    Ce qu’ils en disent…

    [LIVREDEPOCHE.COM] « Bon sang de bonsoir, mais qu’est-ce que je fous là ? » À l’entrée du périph, un vieux monsieur, peignoir en velours et chaussons en peluche effilochés, se répète inlassablement cette question. Échappé de son Ehpad, Mariole, tueur à gages, ne se souvient plus de rien, sauf d’une chose : il lui reste une mission à accomplir. Seul problème, il ne sait plus laquelle. Mathilde, elle, se bourre d’anxiolytiques pour oublier. Victime de revenge porn, jetée en pâture sur les réseaux sociaux, elle se dit que le plus simple est peut-être d’en finir… à moins de faire équipe avec le vieil amnésique venu à sa rescousse : en l’aidant à retrouver la mémoire, Mathilde pourrait se payer une revanche en or.

    Deux personnages inoubliables. Une comédie noire de grande classe. Du savoir-rire.

    Hubert Artus, Lire magazine

    Avec humour, réalisme et bienveillance, Benoît Philippon déroule le road trip pétaradant d’un duo de justiciers explosifs.

    Marie Rogatien, Le Figaro magazine

    [FRANCEINFO.FR/CULTURE, 29 mars 2024] Papi Mariole de Benoît Philippon : voyage au bout de la jubilation. Benoît Philippon signe avec Papi Mariole un livre désopilant, plein de tendresse et d’humanisme, sur un vieux tueur à gages atteint d’Alzheimer qui fait équipe avec une jeune paumée pour une odyssée épique. Indispensable.

    Quelque part entre Donald Westlake et Daniel Pennac, entre un éclat de rire salvateur et une bienveillance désintéressée, Papi Mariole (Albin Michel) est un voyage au bout de la jubilation. Benoît Philippon signe un livre hilarant, plein de tendresse et d’humanisme. Un roman qui fait du bien. Et d’une originalité explosive. L’auteur de Mamie Luger et de Cabossé réunit de nombreux ingrédients pour une recette dont il a seul le secret. Alors, oui, « accrochez-vous à vos bretelles, ça va valser.« 

    La vieillesse peut être un naufrage ou un nouveau départ. Papi Mariole, atteint de la maladie d’Alzheimer, n’en peut plus d’attendre la mort dans son Ehpad. Alors, il s’enfuit. Parce que Mariole a une mission à accomplir. Laquelle ? Il ne se souvient plus. Maudit Alzheimer. Mariole est tueur à gages, ça complique un peu sa tâche.

    Le tueur, la jeune fille et la cochonne. Mariole erre dans un univers qui a perdu ses repères. Le vieux tueur est convaincu qu’il arrivera à ressusciter sa mémoire et retrouver son passé. Dans son périple, il croise Mathilde. La jeune fille est prête à mettre fin à ses jours. Victime de revenge porn, elle voit sa vie jetée en pâture sur les réseaux sociaux. Proie d’un manipulateur, elle a perdu confiance en elle-même et envers les autres. Jusqu’à sa rencontre improbable avec Papi Mariole, qu’elle surnomme avec tendresse Dory, comme le poisson bleu qui souffre de trouble de mémoire immédiate dans le film d’animation Le Monde de Nemo. « Qui êtes-vous ?« , n’arrête pas de lui demander régulièrement son compagnon d’infortune. Et pour compléter cet attelage improbable, Madame Chonchon, la truie de compagnie de l’ancien tueur à gages.

    Et voici donc le trio parti en guerre pour réparer les injustices, et rendre ce monde un peu plus vivable. Avec son écriture nerveuse et pleine d’humour, Benoît Philippon s’intéresse à des sujets importants : la transmission, les violences faites aux femmes, réelles et numériques (et non virtuelles), la dépendance des personnes âgées, la masculinité toxique, la vengeance… On rit souvent avec Papi Mariole, et entre deux éclats, deux sourires, on réfléchit aussi. Et c’est toute la force de Benoît Philippon d’évoquer des sujets profonds avec ce qui peut apparaître comme de la légèreté. Papi Mariole, une extraordinaire odyssée jubilatoire. Benoît Philippon, une plume aérienne et profonde.

    Mohamed Berkani


    PHILIPPON Benoît, Papi Mariole est paru chez Livre de poche en 2025.

    FR

    EAN 9782253253198

    384 pages

    Disponible en grand format, ePub et poche.


    Ce que nous en disons…

    Jubilatoire ! Du Grand Guignol subtil et méchamment réaliste : ça existe. Le genre de tournepage dont on se délecte sans pouvoir fermer la lumière en tête du lit (« Allez, encore un petit chapitre, puis je dors…« ). Un polar qui respecte les conventions du genre mais également un brûlot engagé pour la cause des femmes et… des papis gâteux. On en ressort souriant (ce livre est drôle), responsable (l’engagement du propos n’est pas anodin : la vengeance sonne comme un lourd avertissement envers…) et plus humain (la preuve : j’ai pleuré au dernier chapitre). A ne pas rater !

    Patrick Thonart


    Bonnes feuilles…

    . . . rentre chez elle. Les rétines rougies par les larmes. Acides. N’y croit pas. Clique à nouveau. Ne peut s’en empêcher. Les vues. Le décompte s’accentue.
    Mitraillage de notifications. T’as trop pas de fierté, meuf / ‘J’vais te faire miauler, moi, LOL / Pussy Dol, comment t’es chaude/ Tu baises aussi dans ta litière ? / Et mon os, tu veux le ronger, mon os ? Les amis qui s’inquiètent, sur WhatsApp, sur Messenger, sur Insta, dans la vraie vie. Mathilde, tu vas bien ? C’est quoi ce délire? / C’est vraiment l’horreur, je pense à toi / Putain, mais pourquoi t’as fait ça, meuf ? À la main tendue succède le couperet. Accusateurs, eux aussi. La brûlure du jugement. La déception dans leur ton. De toute façon, ils ne font pas le poids. Comparés aux tonnes d’immondices qui l’attirent au fond. Tout au fond. « Miaule pour moi. » Son visage en gros plan. Sa langue contre ses dents. « Miaow« . Les rires. Off caméra. Les recoins de son intimité, on caméra. Et maintenant sur le Web. Capturés dans les filets du LOL. Son visage, partout relayé, son anatomie, pas même floutée, son nom, hashtagué, son prénom, en open source, personne ne peut la rater, personne n’essaie. Des milliers de partages, ses données perdues, là-haut dans le cloud, amalgamées dans un maelstrom anonyme. « Juste une vidéo pour nous. » Mathilde miaule pour l’éternité virtuelle, face caméra, consentante, pendant que Beau_risque_69 la sodomise, mais « ça reste entre nous« . Entre nous et le reste du monde. Son visage à lui est flouté – brouillage hard codé, impossible à effacer, Boris est le créateur de la vidéo, le détenteur du master, son anonymat restera protégé, il s’en est assuré. Alors que pour Pussy Doll, c’est le début de la gloire. Qu’elle le veuille ou non. La flambée virale. Des hashtags du plus évocateur au plus explicite. Spirale du trash. Mathilde, la tête dans la cuvette, vomit sa crédulité avec sa salade-crudité. Bientôt elle régurgitera son overdose d’anxiolytiques. La vidéo. En boucle. Des quidams libidineux lui ont écrit des horreurs. On a trollé son Insta. Qualificatifs infamants, insultes dégradantes, son « Miaow » est devenu un meme. Entre deux dégueulis, une question résonne contre la faïence : « Y a pas de brigade des moeurs contre ce genre de détournements ? » Sur certains sites, si. Tant qu’on ne voit pas ses seins, pas de quoi censurer l’extrait. Sur d’autres hébergeurs, par contre, c’est open bar sur son intimité. Depuis la sex tape de Pamela Anderson et Tommy Lee devenue virale, le porno non consenti sur Internet est un sport international. Hunter Moore et son site IsAnyoneUp ? a fait des émules. Jennifer Lawrence n’a pas pu se protéger de la fuite de ses photos, malgré son armada d’avocats. Alors qu’est-ce qu’elle peut faire, elle ? Cheval de Troie, cadeau de la maison, en surimpression au bas de la vidéo, les liens sur ses profils Insta, Facebook, Linkedln, TikTok, Romantica. La toile d’araignée virtuelle qu’elle a elle-même tissée. Pour se construire un réseau, rester connectée, à ses amis, à ses contacts, provoquer des rencontres, motiver des opportunités professionnelles, rigoler devant des vidéos de tranches de vie, des gifs animés d’une débilitée devenue soudain essentielle… Rien de méchant, faut bien se détendre, entre deux réunions commerciales chiantes et l’accumulation des mails urgents dans le week-end. « La bonne taille? Mais… comment t’as su ? » « Quarante-deux, tu me l’as dit quand on tchattait. » Des extraits de leur conversation, capturés sur la vidéo, livrés en pâture, alimentent l’orgie de commentaires. Ils ne manquent jamais d’imagination, quand il s’agit d’humiliation. Et c’est parti pour le body shaming. Elle qui se trouvait un peu ronde, mais se trouvait aussi des excuses, toutes les analogies y passent, de la vache à la truie, la psalmodie des immondices, illustrées par des montages photo ignominieux, piochés dans des clichés d’abattoirs, son visage en extase accolé à des tortures animales, abjectes jusqu’à la nausée. Sur repeat, Mathilde et son sourire, un rien forcé, la langue qui passe sur les dents : « Miaow… » Elle a beau appeler les services client, alertes anti-spams, sécurité des plateformes, à chaque lien supprimé, en réapparaît un clone ailleurs. Le film a été rippé, dupliqué, relinké, à l’infini. Rien à faire. Si le terme virus va si bien à l’univers informatique, il y a une bonne raison à ça : impossible de freiner l’épidémie. « Miaow… » Coup de téléphone de son patron. Convoquée à son bureau -l’entreprise ne pourrait tolérer ce type de comportement d’aucun employé. Il en va de la réputation de la boîte. – Mais je ne suis pas responsable, enfin si, mais ça devait rester dans la sphère intime. – Ce que vous faites dans l’intimité ne doit pas nuire à notre image, mademoiselle Wandderlon. Inutile de vous dire que la déviance de cette vidéo… Elle avait déjà halluciné quand, lors de l’entretien, son futur employeur avait fait allusion à des photos qu’il n’avait pu voir que sur son compte Facebook. Il avait fouiné. En même temps, elle ne l’avait pas configuré en « privé« . Qui se met en privé, de nos jours ? Si on se connecte sur un réseau, c’est pour être vue, non ? L’anonymat, c’est so siècle dernier. Suffit d’être vigilant, ne pas poster n’importe quoi. Elle se scandalise toujours de voir ses amis partager des photos de leurs gosses en ligne. Avec l’étendue de la pédocriminalité, ils ne se rendent pas compte. Mathilde, la tête dans la cuvette, vomit son vertige. Aspirée par l’horreur de ses constatations : elle ne parviendra jamais à s’extraire de ce tourbillon, n’aura plus de travail, ne trouvera plus d’employeur, d’amis, d’amants, de famille. « Oui, maman, j’ai honte, non, je ne savais pas qu’il mettrait cette vidéo en ligne, c’était pour s’amuser. Tu t’es jamais amusée, toi ? Ah oui, papa ne veut plus me parler ? Bah, c’est pas la première fois que je le déçois. Ah là, il ne veut plus me voir ? Jamais ? Merci pour le soutien, vraiment… Moi aussi, j’ai honte de moi… Moi aussi, si tu savais. » La mère raccroche, trop de déception, trop de dégoût. Comment cela a-t-il pu leur arriver, à eux ? Ils l’ont pourtant bien éduquée. Son frère n’est pas comme elle. Pourquoi Mathilde est-elle devenue comme ça ? Pourquoi leur a-t-elle fait ça ? À eux ! Elle est mise au ban. Par eux, par tous. Comme ceux qu’elle aidait. Les laissés-pour-compte. Elle ne s’imaginait pas être à son tour jetée au rebut. Pas comme ça. Mais ça y est, elle aussi est passée de l’autre côté. Des cernes sous les yeux, l’incriminée observe son médecin qui lui signe un arrêt de travail. « Trop tard, je suis licenciée. » Dans son regard inquisiteur, elle devine qu’il a maté la vidéo, sous le manteau. Avec ses pattes de mouche, il rédige une ordonnance. Elle plonge dans une autre spirale : anxiolytiques, antidépresseurs, somnifères. Un clic de temps en temps sur la blogosphère. Son hashtag caracole toujours sur certains sites de streaming pour adultes, Pomhub, XNXX, TuKif, X videos, xHamster. Elle se revoit dans son open space, après le savon passé par son patron, son monde écroulé, son licenciement pour faute grave, sans indemnités compensatoires, et son poste de travail, jonché de photocopies, d’elle, à quatre pattes, saucissonnée dans une lingerie taille quarante-deux, se livrer à du porno amateur. Les rires, pas même camouflés, de ses collègues, des « Miaow« , ravalés dès qu’elle tournait la tête. Boris… Comment t’as pu me faire ça ? Après tout ce qu’on avait partagé. Nos nuits tendres, nos échanges, nos confessions. Pendant des semaines. Tes caresses, tes promesses. C’était pas anodin ? Si ? Mathilde pleure sous les rires sans visage. Une collègue lui tend un Kleenex. Dans son regard se mêlent compassion et dégoût. Elle penche la tête sur le côté, observe Mathilde, comme si elle se repassait cette vidéo en mémoire. « Miaow« . Un cachet, deux cachets, trois cachets « Attention à bien respecter la dose prescrite – Sinon quoi ? -Risque d’intoxication.» Quatre cachets, cinq cachets. Les mois qui passent. L’assommoir. Oublier. Son image. Devenue publique. Salie. Piétinée. Jugée. Condamnée. Par ces inconnus. Six cachets. Un coup de fil. « Allô maman? … Oui, moi aussi, je me dégoûte… » Elle réalise qu’elle n’arrive plus à articuler. C’est quoi, ce bruit ? Des sirènes ? Elle s’est assoupie. Depuis combien de temps ? Elle ne sait pas, elle ne sait plus, elle se dit juste que si ça continue, ell


    L’auteur…

    Né en 1976, Benoît Philippon est auteur, scénariste et réalisateur. Il a grandi en Côte d’Ivoire, aux Antilles, au Canada et en France. Le succès de Mamie Luger, son deuxième roman, l’a propulsé comme l’un des meilleurs auteurs du polar français.


    [INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : livredepoche.com ; librel.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © Archipel Ville Fouesnant.


    Lire encore en Wallonie-Bruxelles…

    HUNYADI : Faire confiance à la confiance (2023)

    Ce qu’ils en disent…

    [EDITIONS-ERES.COM] En retraçant la genèse de l’individualisme moderne, Mark Hunyadi développe la profondeur historique du problème de la confiance, ainsi que la raison philosophique pour laquelle ce thème – pourtant unanimement reconnu comme essentiel – a été largement négligé dans la littérature philosophique.

    Au fil de nombreux exemples, il montre que la confiance est relation au monde, avant d’être relation au risque, de nature essentiellement économique. L’emprise du numérique sur nos existences a pour effet d’éliminer tendanciellement les relations de confiance, au profit de relations sécurisées. Ce phénomène dessine l’horizon d’une société automatique, d’où sont chassées les relations naturelles de confiance qui nous lient au monde – aux objets, aux autres, aux institutions.

    À partir d’un exposé d’une grande clarté sur la théorie de la confiance qu’il a été le premier à formuler, Mark Hunyadi pose un diagnostic philosophique sur la source des crises que nous devons affronter et offre un outil critique permettant d’entrevoir les alternatives possibles.


    HUNYADI Mark, Faire confiance à la confiance est paru chez Erès en 2023.

    FR

    EAN 9782749275840

    112 pages

    Disponible en grand format et ePub.


    Ce que nous en disons…

    Il en est de certains livres comme des petits vieux sur les bancs : on peut passer à côté en les remarquant à peine, pressé que l’on est d’aller, soi-disant, quelque part. Mais celui qui prend la peine de s’asseoir un instant et d’écouter la conversation, voire de s’y mêler, va peut-être se relever avec des trésors d’humanité dans les oreilles et… matière à méditer sur ce que signifie effectivement “aller quelque part.

    Faire confiance à la confiance, le livre de Mark Hunyadi paru en 2023, fait cet effet-là. Au fil d’une petite centaine de pages, le philosophe louvaniste replace la confiance au cœur de la réflexion sur l’homme et sa société : le résultat est inédit et fondateur. En passant, il rend au péril numérique sa juste place, ce qui ne va pas faire plaisir aux complotistes de tout poil. A lire d’urgence !

    Ce que j’ai d’ailleurs fait, au point d’intégrer l’approche de Hunyadi au cœur de ma réflexion sur comment “être à sa place” (l’ouvrage prévu a été rebaptisé, après que la philosophe française Claire Marin ait choisi ce titre pour son dernier livre). Vous retrouverez donc la confiance comme principe directeur dans les pages du livre que j’écris en ligne : Raison garder. Petit manuel de survie des vivants dans un monde idéalisé. Et, en attendant la publication dudit ouvrage, foncez chez votre libraire indépendant ou lisez la conclusion de Faire confiance à la confiance ci-dessous : nous n’avons pas résisté à l’envie de la reproduire intégralement.

    Patrick Thonart


    Bonnes feuilles…

    Conclusion : préserver la vie de l’esprit

    Étant fondamentalement rapport au monde, la confiance est ce dans quoi nous séjournons. Mais le concubinage forcé avec le numérique modifie notre habitat : plus sûr, plus fonctionnel, il est aussi à même de satisfaire plus rapidement une gamme plus étendue de désirs, pour le plus grand contentement de ses utilisateurs. Il est donc aussi libidinalement plus satisfaisant, ce qui lui confère une force irrésistible.

    J’ai essayé de montrer que ce taux accru de satisfaction allait de pair avec une baisse tendancielle du taux de confiance – au sens où on en avait de moins en moins besoin-, puisque le principe même de cette modification de notre manière d’habiter le monde est la prise en charge de nos désirs et volontés par des processus automatisés capables de les exécuter dans les conditions techniques les plus optimales. Du coup, la sécurité technique se substitue à la confiance naturelle dans le processus de réalisation de nos désirs.

    Cela nous rive tous de manière inédite au système. Si la satisfaction de nos désirs devient, grâce au numérique, automatique ou quasi automatique, toute résistance se trouve abolie. Des processus machiniques prennent le relais et assurent l’exécution automatique du désir, rivant l’individu à la puissance sans limites de ce système libidinal. Le numérique, par le confort réel qu’il procure, affaiblit les énergies individuelles potentiellement en révolte contre la réalité en place, alimente donc la conservation du système en dédommageant chacun par un confort accru, érodant par là même les énergies antagonistes. De ce monde, le sens de la transcendance se trouve lui-même exilé, car plus les satisfactions sont immédiates, plus l’aspiration à un monde autre s’ éloigne.

    Politiquement, les conséquences de cette évolution sont délétères pour la démocratie. Le problème ne tient pas aux institutions elles-mêmes, et on a envie de dire : hélas. Car le mal est plus profond, plus insidieux que cela. Il touche non pas au fonctionnement des institutions démocratiques (qui, formellement, tiennent le coup), mais, plus fondamentalement, aux valeurs sur lesquelles elles reposent. Au premier rang de celles-ci : la recherche coopérative de la vérité, ou la volonté de trouver un consensus et de s’y tenir. En effet, s’il est bien un acquis fondamental de la modernité démocratique, et ce, en gros, depuis la fin des guerres de religion qui avaient laissé l’Europe exsangue, c’est que les conflits doivent se résoudre symboliquement – c’est-à-dire par la discussion plutôt que par les armes.

    Principe exigeant, ‘idéal régulateur’ comme disent les philosophes, mais suffisamment puissant et efficace pour que, par exemple, la construction européenne tout entière s’y adosse. Il est en outre éminemment générateur de confiance, car il permet aux citoyens de s’attendre légitimement à ce que les affaires publiques soient gérées dans le meilleur intérêt de tous.

    Seulement voilà : la résolution symbolique des conflits suppose d’être d’accord de s’accorder, c’est-à-dire de coopérer à la recherche de la vérité, avec un petit v. Or, s’est progressivement imposée sous nos yeux, à bas bruit, une conviction d’une tout autre nature, selon laquelle ce qui compte, ce n’est plus tant la recherche de la vérité que l’affirmation de soiL’identité plutôt que la vérité. Crier haut et fort ce que l’on est, clamer ce que l’on veut, penser ce qu’on pense et le faire savoir, voilà la grande affaire. Polarisation entre communautés irréductibles, fragmentation des revendications, populismes et fake news s’alimentent à ce même primat de l’identité sur la vérité : ne compte que ce qui me renforce dans mes convictions.

    Ce qui, au-delà de routes leurs différences, réunit ces symptômes politiques, c’est précisément cette attitude de brutale affirmation de soi qui refuse route transcendance à soi-même : je veux ou je désire quelque chose parce que je suis ce que je suis, point barre. On retrouve ici le traitement naturaliste du désir dont il était question plus haut, mais à l’égard de soi-même : j’adhère à une info non en fonction de sa vérité présumée, mais parce qu’elle me plaît et flatte ce que je pense, sucre pour mon cerveau.

    Il n’est pas question de former, de réinterpréter, de réévaluer mes aspirations spontanées en fonction de celles d’autrui, ou en regard d’un intérêt ou d’une valeur supérieurs. Chacun considère son désir ou sa volonté comme un fait brut qui cherche sa satisfaction comme la pierre tombe vers le bas. Comme pour les assaillants du Capitole le 6 janvier 2021, le désir doit faire loi.

    J’ai essayé de le montrer, le numérique joue un rôle majeur dans ces évolutions. Car il renforce formidablement cette tendance à l’affirmation de soi, qui est aussi une tendance à la satisfaction de soi. Dans ce monde, on a de moins en moins besoin de confiance, donc de relation constructive à autrui. Dans un monde administré par le numérique, la confiance devient inutile, parce que le système tend toujours davantage à sécuriser la réalisation de nos désirs. Il les prend en charge et les exécute à notre meilleure convenance, éliminant au maximum les risques de déception.

    De ce point de vue, le numérique se présente comme un immense système de satisfaction, où tout le monde, du cueilleur de champignons à l’athlète de pointe en passant par le diabétique et le chercheur en philosophie, trouve son compte. C’est une réussite diabolique, en ce sens qu’elle enferme tout un chacun dans sa bulle de satisfaction (à l’origine, diable veut dire : qui sépare). Le numérique n’est pas une fenêtre sur le monde, mais monde lui-même, paramétré par d’autres ; un monde au sein duquel, je l’ai dit, l’individu ne fait que répondre à une offre numérique.

    Extrapolée à la limite, cette évolution lourde conduit à une forme de fonctionnalisme généralisé: non pas un fonctionnalisme où le système attribue à chacun sa fonction (comme dans la division du travail, où chacun est assigné à une tâche par son n + 1), mais où chacun attend du système qu’il remplisse la fonction qu’il lui attribue. Renversement, au demeurant, typiquement dans la veine de l’individualisme nominaliste : souverain dans sa volonté, l’individu met à son service un système qui l’exécute. Et le système est ainsi fait qu’il en est désormais techniquement capable. Dans ce monde, chacun devient l’administrateur de son propre bien-être, pour sa plus grande satisfaction. L’exécution du désir et de la volonté est automatisée, prise en charge par les algorithmes. Plus besoin de confiance dans ce monde-là ! La confiance y est remplacée par la sécurité. Les relations naturelles de confiance, et leur incertitude constitutive, se trouvent remplacées par des relations techniques, comme on a pu le voir ici à l’exemple du bitcoin.

    Cette évolution marque un vrai tournant anthropologique et sociétal. Elle embarque tout sur son passage, y compris, donc, les valeurs qui sous-tendent la démocratie. Car elle renforce immensément chez l’individu la tendance libidinale à la satisfaction de soi, qui dès lors prévaut sur toute autre considération. Et elle renforce au passage son narcissisme cognitif, qui le pousse à préférer sa vérité à la recherche coopérative de celle-ci. L’individu trouve désormais d’autres communautés de confiance, structurées autour des influenceuses et influenceurs, par exemple, des communautés affectives formées de ceux qui pensent et sentent comme lui. Individuel ou collectif, le cockpit numérique n’en est pas moins un puissant isolant.

    Nous ne sommes malheureusement, en l’état actuel des choses, pas équipés pour faire face à ces évolutions et adopter les réponses qu’elles réclament. Ni moralement, ni politiquement. Car le seul cadre dont sont dotées les démocraties constitutionnelles modernes, c’est la défense des droits et libertés individuels. Or, l’emprise du numérique comme le changement climatique sont des phénomènes globaux qui nécessitent des réponses globales. L’éthique individualiste libérale, de part en part nominaliste comme je l’ai rappelé, n’est simplement pas taillée à la mesure de ces problèmes. Au contraire, elle les aggrave, animée qu’elle est du seul souci de préserver à chacun sa sphère de liberté d’action, incapable en conséquence d’agir sur les effets cumulés des libertés individuelles agrégées.

    En l’occurrence, l’enjeu éthique fondamental de l’emprise numérique n’est pas l’ensemble des risques qu’elle fait courir à nos vies privées ou à la sécurité de nos données. Ce sont là des problèmes certes importants et qu’il faut résoudre, mais le droit allié à la technique s’y emploie déjà ; et bien que difficile, cette tâche n’est pas insurmontable. En revanche, ce que le numérique fait à l’esprit représente un enjeu autrement plus considérable !

    Le fonctionnalisme généralisé, l’automatisation de l’exécution des désirs, le renforcement du narcissisme cognitif, l’isolement mental, et tout cela au nom d’une plus grande satisfaction libidinale : voilà qui menace la vie de l’esprit humain bien davantage que les risques juridiques que fait courir aux individus le commerce de leurs données.

    Or, cette menace ne peut être appréhendée dans le cadre de l’éthique individualiste – celle des droits de l’homme – dont nous disposons actuellement. Elle n’est simplement pas à la hauteur des enjeux anthropologiques et sociétaux qui se dessinent. Ainsi, l’Union européenne par exemple, qui se considère facilement exemplaire dans le domaine de la régulation du numérique, produit à grande vitesse un nombre considérable de textes législatifs, à commencer par le RGPD (Règlement général sur la protection des données, entré en vigueur en 2018), mais qui tous, sans exception aucune, ne font qu’entériner le système existant, en l’obligeant simplement à se conformer aux exigences des droits fondamentaux des individus. Une telle obligation est importante, certes, et on se désolerait si on ne s’évertuait à l’honorer. Elle est de plus difficile à implémenter dans la réalité, en raison des caractéristiques techniques du fonctionnement numérique, chacun le sait ; tenter de le faire est donc en soi une tâche héroïque.

    Il n’empêche que cette approche par ce que j’appelle l’éthique des droits – l’éthique qui se focalise sur les torts faits aux individus – ne peut qu’ignorer les enjeux éthiques fondamentaux qui concernent la vie de l’esprit en général, c’est-à-dire nos rapports au monde, aux idées, à l’imagination. Car la vie de l’esprit pourrait être entièrement prise en charge par des processus automatiques – elle pourrait donc être intégralement automatisée en ce sens -, tout en respectant scrupuleusement les principes fondamentaux de l’éthique des droits. Chacun pourrait se retrouver à gérer son existence dans son cockpit, sans qu’aucune charte éthique ou texte législatif n’y trouve rien à redire. Le respect de l’ éthique des droits est ainsi compatible avec la déshumanisation de la vie de l’esprit.

    La défense des droits individuels ne peut donc être le dernier mot de notre rapport au numérique. Sécuriser les transactions numériques, protéger la vie privée, garantir la liberté d’expression et la non-discrimination, tout important que cela soit, passe à côté des véritables enjeux éthiques du numérique, pour lesquels il n’existe pourtant aucun comité d’éthique. Tous sont en effet prisonniers de l’éthique des droits, qui ruisselle des plus hauts textes normatifs (le préambule des Constitutions, ou la Convention européenne des droits de l’homme) jusqu’aux plus infimes règlements internes d’entreprises.

    L’impuissance de l’éthique des droits et de la pensée libérale en général rend indispensable une refonte de l’organigramme de nos sociétés démocratiques chancelantes. Je ne reviens pas ici sur la nécessité de créer une institution capable d’organiser l’ agir collectif à la hauteur où agissent actuellement les grandes puissances privées du numérique. C’est là une nécessité en quelque sorte conceptuelle, car aucun agir individuel, même agrégé, ne parviendra à contenir, infléchir ou réorienter ces évolutions massives. Politiquement donc, ce qui est requis, c’est une institution transnationale dont l’horizon normatif ne saurait se limiter à la défense des droits et libertés individuels, pour la raison simple que l’ensemble des phénomènes que j’ai décrits pourrait se dérouler dans le respect intégral des principes de l’éthique des droits. Ces phénomènes sont plutôt à comprendre comme l’effet systémique engendré par l’éthique des droits elle-même, qui laisse tout faire pour peu qu’il ne soit pas fait de tort aux individus en particulier. D’où la nécessité d’une institution qui secondarise l’éthique des droits, pour permettre de penser à l’horizon global du type d’humanité et de société (donc de vie de l’ esprit) que nous souhaitons. Seule une telle institution réflexive peut nous sortir de l’impuissance dans laquelle nous enferme la petite éthique des droits.

    Mais une telle institution serait elle-même impossible si elle ne pouvait pas puiser dans les ressources des acteurs eux-mêmes. Cette institution doit apparaître normativement désirable à leurs yeux. Pour qu’une institution ne flotte pas dans le vide éthéré de ses principes abstraits, elle doit pouvoir s’ancrer dans le sens que les acteurs sont capables de conférer à leur propre expérience.

    Ce sont ces ressources de pensée négative dont s’alimente la vie de l’esprit que le système érode jour après jour en s’adressant méthodiquement à ses utilisateurs comme à des êtres libidinaux ; il s’adresse à eux non comme à des êtres rationnels capables de pensée et de jugement, mais comme à des êtres cherchant la satisfaction automatique de leurs désirs et volontés. J’ai évoqué comment cette tendance actuellement à l’œuvre s’inscrivait dans le cadre général d’une substitution de relations techniques aux relations naturelles avec le monde, et ses conséquences de longue portée.

    Mais une tendance n’est qu’une tendance, précisément, et elle laisse encore la place à des expériences qui ne s’y plient pas. Le numérique ne pourra pas remplacer ni même médiatiser toutes les relations au monde ; s’éprouver soi-même et éprouver le monde et la force illuminante des idées reste et restera l’apanage des sujets vivants, sauf à devenir des robots. C’est par conséquent dans des îlots d’expériences quotidiennes non encore colonisées par le numérique – expériences de confiance, de face-à-face, d’amour, de communication authentique, de confrontation réelle, mais aussi expériences du corps vivant, du corps dansant, du corps sentant -, c’est dans ces expériences d’épreuve qualitative de soi et du monde que les acteurs peuvent trouver eux-mêmes les ressources de contre-factualité capables d’alimenter leur pensée négative, pensée critique qui témoigne encore qu’un autre monde est possible. L’épreuve qualitative du monde, qui a été méthodiquement occultée par l’émergence du nominalisme, et qui est aujourd’hui systématiquement écartée par l’ontologie implicite du numérique, recèle, pour peu qu’on y porte une juste attention, l’image vivante d’une relation possiblement non aliénée au monde.

    La philosophie est la seule science qui puisse appréhender l’expérience humaine comme un tout. C’est donc à elle que revient la tâche, aujourd’hui muée, sous la pression des circonstances, en tâche politique, d’exhiber le sens de ces expériences intramondaines riches en ressources face à l’administration numérique du monde. Ces expériences conservent les traces d’un rapport non nominaliste au monde ; traces inapparentes, comme diluées dans l’océan de l’ esprit nominaliste qui nous gouverne, mais que pour cette raison même la philosophie, en particulier dans ses usages critiques, est en charge de préserver et d’exposer comme autant de pépites où se réfugie l’esprit authentiquement humain.

    La sécurité technique ne peut certes pas remplacer toutes les relations naturelles de confiance, sauf à ce que nous devenions des robots – auquel cas nous ne pourrions même plus nous en plaindre. C’est à la philosophie – la seule science qui envisage l’expérience humaine comme un tout – que revient la tâche éminente de montrer qu’un autre monde est possible, un monde où l’esprit humain, plutôt que s’ encapsuler sur lui-même, puisse se confronter à ce qui le dépasse. C’est à la philosophie que revient de montrer que la vérité, la confiance, l’amour, et d’autres expériences semblables, irréductibles à la relation numérique, élèvent l’esprit parce qu’ils le transcendent.

    Mark Hunyadi, philosophe


    L’auteur…

    Mark Hunyadi est philosophe, professeur de philosophie à l’université catholique de Louvain, professeur associé à la chaire Valeurs et politiques des informations personnelles de l’institut Mines/Télécom de Paris.


    En savoir plus…


    [INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : editions-eres.com ; librel.be | auteur-contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © lcp.fr.


    Lire encore en Wallonie-Bruxelles…

    CERNA : Pas dans le cul aujourd’hui (1962)

    Ce qu’ils en disent…

    La lettre érotique de Jana Černá à Egon Bondy, une métaphore du féminisme…

    [FRANCAIS.RADIO.CZ, 8 août 2020] Pas dans le cul aujourd’hui : derrière ce titre provocateur, extrait d’un poème de l’écrivaine tchèque Jana Černá, se cache une lettre d’amour passionnée et sans retenue qu’elle a écrite à son amant Egon Bondy au début des années 1960, et publiée en français en 2014 aux éditions La Contre Allée. Dans ce texte d’une centaine de pages, la fille de Milena Jesenská clame son désir à l’homme qu’elle aime, entremêlant considérations philosophiques et descriptions crues de ses fantasmes. Rebelle à tout conformisme, Jana Černá y affirme sa liberté totale de femme désirante et son refus de dissocier le corps et l’intellect. Pour évoquer ce texte, Radio Prague Int. a interrogé l’éditrice du texte, Anna Rizzello, qui a rappelé comment elle l’avait découvert.

    Anna Rizzello : “J’ai découvert la lettre il y a très longtemps, une vingtaine d’année environ, en Italie. J’ai vu ce texte dans une librairie de Turin. C’était donc une traduction italienne. Ce n’était pas tout à fait le même texte que nous avons publié, mais c’était le même titre. Dans cette traduction italienne, il y avait ce texte et plusieurs de ses poèmes que nous n’avons pas reproduits dans notre édition.

    Et l’envie est venue un jour de publier ce texte en français…

    A.R. Entre les deux, j’ai déménagé en France. Ce texte m’a suivi, il était toujours dans ma bibliothèque. En 2013, j’ai organisé avec une amie un festival de littérature, appelé Littérature etc. C’était la première édition dont le thème était l’amour. En réfléchissant à des textes qui pourraient intégrer cette programmation. J’ai parlé de ce texte que nous avons traduit à deux, en faisant quelque chose d’un peu bâtard, pas forcément final. Cette traduction devait servir pour une lecture dans le cadre du festival. Je travaillais déjà aux éditions de la Contre-Allée, et la maison a bien voulu le publier. On a confié la traduction à Barbora Faure. Il y a donc eu plusieurs phases qui se sont terminées par la publication de la lettre un an après le festival, en 2014.

    Il faut expliquer en quelques mots de quoi il s’agit. C’est une lettre d’amour très érotique, sans concessions, et en même temps qui est traversée de réflexions philosophiques. Tout est entremêlé. Pourriez-vous nous en dire plus ?

    A.R. Effectivement ce qui est frappant, toujours aujourd’hui, et unique dans ce texte et dans le ton, c’est cet entrelacs de différentes choses. Il y a les aspects plus personnels, très émotifs. C’est une lettre d’amour que Jana Černá écrit à son amant en 1962. Ce n’était pas un texte destiné à la publication alors que par ailleurs elle était écrivaine. Ce texte était véritablement une lettre personnelle, intime. Elle est chez elle, le soir, elle ne savait pas forcément, en commençant à écrire, où cela la mènerait. Finalement, dans cette lettre, on croise tout : ce qu’est, pour elle, la relation amoureuse qui doit comprendre aussi bien un lien très fort au niveau intellectuel et sexuel. Tout ce qu’elle entend par poésie, philosophie et littérature est quelque chose de très concret en fait. C’est ce qui est beau, selon moi : c’est quelque chose qui, pour elle, est très lié au quotidien. La philosophie et la poésie ne vivent pas dans les bibliothèques ni les livres. Elles vivent dans la rue, dans les conversations avec les gens et dans la réalité. Je trouve cela très fort, d’autant plus que Jana Černá incarnait cela dans sa vie.

    Ce n’est donc pas seulement un texte théorique, mais totalement incarné par elle. C’est pour cette raison que la lettre est si singulière aussi. C’était quelqu’un d’exceptionnel qui a eu une vie incroyable : elle a fait pleins de métiers différents, femme de ménage, poinçonneuse, elle a eu plusieurs enfants qui lui ont été enlevés parce qu’elle ne pouvait pas s’en occuper. C’était la fille de Milena Jesenská donc elle vient d’un milieu familial où plusieurs cultures se mêlaient. Elle ne sort pas de nulle part non plus. Dans sa lettre, elle développe quelque chose que l’on peut qualifier de philosophique même s’il n’y a rien de systématique ou de dogmatique. Le texte a été écrit en 1962 mais il me semble qu’il n’a pas pris une ride, que ce soit au niveau du vocabulaire que des thématiques. Cela reste encore tabou de dire des choses comme celles-ci et de cette façon.

    Il faut en effet rappeler que Jana Černá est la fille de Milena Jesenská, mondialement connue pour avoir correspondu avec Franz Kafka, même si elle n’est pas du tout réductible à cette correspondance. C’est une journaliste, une grande figure de l’antinazisme dans la Tchécoslovaquie de l’entre-deux-guerres, elle a été résistante et a fini sa vie à Ravensbrück en 1944. Peut-on dire que cette sorte d’esprit rebelle de Jana Černá est un héritage de sa mère ?

    A.R. Oui. D’ailleurs Jana Černá a écrit un livre magnifique sur sa mère, Vie de Milena, que nous avons également publié. Là aussi, il s’agit d’une biographie pas du tout conformiste dans le ton. Elle relate pleins de faits qui finalement donnent une profondeur et une richesse à la vie de sa mère. Elle s’inscrit aussi dans cette tradition-là de la rébellion, de l’anticonformisme et de la justice. Ce n’était pas de l’anticonformisme juste pour être anticonformiste. C’était quelque chose qui a à voir avec cette idée de justice très forte et très ancrée en Milena. Elle en est d’ailleurs morte et cette idée est clairement inscrite dans sa fille.

    Dans l’introduction du livre, vous dites que cette lettre est une métaphore du féminisme. En quoi ?

    A.R. C’est quelque chose que je pense personnellement. Je ne suis pas sûre que Jana Černá se serait reconnue dans cette affirmation. Je ne veux pas parler à sa place. Il s’agit de ma lecture. Mais pour tout ce que nous venons d’évoquer, oui, je pense qu’il y a quelque chose qui préfigure le féminisme, bien avant 1968, à travers cette liberté de ton vis-à-vis de la sexualité, de la façon dont elle l’envisage et dont elle vit au quotidien. Pour elle, il n’y a pas de hiérarchie dans le couple, elle assume pleinement son désir, sa sexualité et la façon dont elle veut la vivre. C’est extrêmement novateur pour l’époque cette affirmation du désir féminin. Effectivement, c’est un prélude aux revendications qui seront sur le devant de la scène en 1968 et dans les années 1970 avec le mouvement féministe.

    Et peut-être même par rapport à notre période actuelle. La lettre est sortie en français en 2014. Aujourd’hui, le féminisme connaît, sous diverses formes, un véritable regain. Le texte est aussi en résonnance avec des affirmations féministes actuelles…

    A.R. Absolument. C’est pour cela que ce texte continue d’être lu, six ans après sa publication. Il continue à circuler. Nous recevons encore beaucoup d’échos de libraires, de lecteurs… Il résonne très fort avec le contexte actuel. Les choses évoluent, mais il y a aussi des retours en arrière par rapport au désir féminin, au consentement, et à toutes ces questions. Ce texte-là n’est pas une réponse, mais plutôt quelque chose qui peut toujours nous éclairer. C’est ainsi qu’on devrait vivre sa propre sexualité et c’est ainsi qu’elle devrait aussi être perçue du point de vue masculin. C’est aussi cela qui est intéressant : c’est une femme qui écrit, mais elle s’adresse à un homme. D’ailleurs, en France, on a reçu beaucoup d’échos de la part d’hommes, ce qui est rare pour un texte de ce type. Souvent, ce sont des femmes qui s’expriment, mais là, c’était aussi beaucoup les hommes. Je pense que ça fait du bien aux hommes aussi de lire un texte comme celui-ci !

    Rappelons dans quel contexte la lettre est écrite. On est dans les années soixante. On est avant la libéralisation du Printemps de Prague qui est un peu plus tardive, mais il y a ces cercles underground autour de son amant Egon Bondy et d’autres écrivains tchèques. Il y a tout de même un vrai bouillonnement intellectuel et artistique à cette époque-là…

    A.R. Tout à fait. Bohumil Hrabal faisait également partie du cercle de ses amis. Jana Černá s’inscrivait vraiment dans cette avant-garde, avant le Printemps de Prague. Elle écrivait, mais il y avait deux types d’écriture chez elle : les livres qui passaient la censure, qu’elle publiait sous nom et dont elle n’était pas très fière, et il y avait les vrais textes littéraires qui étaient publiés en samizdat, lus par ses amis, par Bondy, Hrabal et les autres. Elle à la fois vécu et contribué à cette effervescence de l’époque.

    Dans ce texte, le langage est extrêmement cru, mais pas une seconde on a l’impression que c’est vulgaire. Un vrai tour de force !

    A.R. Oui, c’est vrai. C’est ce que j’ai ressenti, de même que tous les lecteurs et les lectrices. Ce n’est pas vulgaire du tout. Ce n’est pas seulement le fait qu’elle soit une grande écrivaine, mais c’est aussi une question de sensualité, de sentiments. Ce qu’elle exprime dans cette lettre est totalement sincère, elle ne cherche pas à choquer. Elle ne fait pas de la provocation facile, elle dit les choses comme elle les pense. Ce n’est jamais vulgaire parce que c’est juste l’expression de quelque chose de très profond qui ne cherche pas à choquer, et a fortiori pas Egon Bondy ! Il en a certainement vu d’autres… Il faut garde cela en tête aussi. C’est un écrit intime pour quelqu’un qui la connaît. Dès lors, cette sensualité-là passe sans problème. »

    Anna Kubišta


    Ce qu’ils en disent…

    [RTBF.BE, 30 septembre 2014] Tiré d’un poème de l’auteure, le titre souligne à la fois la charge érotique du texte et la rébellion extraordinaire d’une femme face à l’ambiance étouffante en Tchécoslovaquie d’après-guerre. Probablement écrite en 1962, cette lettre est un véritable manifeste pour la liberté individuelle.

    Dans les années qui précèdent le Printemps de Prague, Jana Černá livrait dans cette lettre à Egon Bondy sa volonté de révolutionner les codes de conduite, de rechercher de nouveaux possibles dans la vie privée, les rapports sentimentaux et la sexualité. En refusant de se soumettre à la primauté masculine, elle affirme aussi son souhait d’une sexualité non séparée des sentiments et de l’activité intellectuelle.

    Dotée d’une personnalité hors du commun, Jana Černá fascinait son entourage par sa vitalité et son audace. Plusieurs fois mariée et mère de 5 enfants, elle n’a exercé que des emplois occasionnels tels que femme de ménage, contrôleuse de tramway etc. Marginalité et rejet de tout conformisme social, langagier ou politique semblent avoir été ses maîtres mots. Cette lettre débarrassée de toutes conventions, au ton libre et spontané, est d’une étonnante modernité.

    Jana Černá fréquente Egon Bondy, auteur mythique en Tchéquie, spécialiste des philosophies orientales, mais aussi auteur des textes des Plastic People of the Universe, le groupe de rock symbole de la rébellion des années 70. Tous deux font partie de la culture clandestine de Prague avec Bohumil Hrabal, l’un des plus importants écrivains tchèques de la seconde moitié du XXe siècle. Ils ont publié leurs écrits sous forme de ‘Samizdat’ (système de circulation clandestine d’écrits dissidents en URSS et dans les pays du bloc de l’Est) jusqu’à la chute du communisme. Jana Černá collaborera à différentes publications de cette mouvance, sous divers pseudonymes (Gala Mallarmé, Sarah Silberstein) ainsi que sous son nom de Jana Krejcarova.

    Myriam Leroy


    ČERNÁ Jana, Pas dans le cul aujourd’hui a probablement été rédigé en 1962 et est paru chez La Contre Allée en 2014, dans une traduction de Barbora Faure.

    CZ > FR

    EAN 9782917817278

    96 pages

    Disponible en ePub et poche.


    Ce que nous en disons…

    Une parole libre, salutaire en ces temps de puritanisme qui rongent nos horizons…

    Patrick Thonart


    Bonnes feuilles…

    S’ il existe un espoir concret que tu produises un fruit mûr alors c’est seulement à condition que ce fruit te comprenne tout entier, avec tes chaussettes, ton horreur des bibliothèques, ta barbe, ta bière, ta fantaisie, ton intellect, ta queue, tout ce qui se rapporte à toi.


    L’auteure…

    [infos éditeur] Jana Černá (Honza, “Jeannot”, pour sa mère) est née à Prague en 1928, fille de l’architecte avant-gardiste J. Krejcar et de Milena Jesenská (la célèbre Milena de Kafka, journaliste et résistante, emprisonnée en août 1939 et morte à Ravensbrück). Confiée à son grand-père, Jana a suivi des études secondaires, puis artistiques. Elle a très vite choisi la vie de bohème et n’a jamais exercé d’emploi stable, exerçant des activités occasionnelles telles que femme de ménage, contrôleuse de tramway, aide-cuisinière. A la mort de son grand-père en 1947 elle s’est trouvée à la tête d’un vaste héritage qu’elle n’a pas tardé à dilapider. Plusieurs fois mariée et mère de 5 enfants, elle a fréquenté les milieux littéraires de la mouvance surréaliste et underground et collaboré à différentes publications de cette mouvance, sous divers pseudonymes (Gala Mallarmé, Sarah Silberstein) ainsi que sous son nom de Jana Krejcarova. Marginalité et rejet de tout conformisme social, langagier ou politique semblent avoir été ses maîtres mots. Vers la fin de sa vie elle se consacre à la création de céramiques. Elle meurt en 1981 dans un accident de la circulation. Le philosophe Egon Bondy, dans la vie de qui elle est restée profondément ancrée, a écrit le jour de son enterrement : “On l’enterre en ce moment et moi je suis si loin, assis dans une ville glacée où personne ne sait qu’elle a été ce que l’homme peut atteindre de plus grand.”


    [INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, recension, correction et iconographie | sources : francais.radio.cz ; rtbf.be ; librel.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, Jana Černá et Egon Bondy dans les rues de l’époque (1950-60) © DP.


    Lire encore en Wallonie-Bruxelles…