La lettre érotique de Jana Černá à Egon Bondy, une métaphore du féminisme…
[FRANCAIS.RADIO.CZ, 8 août 2020] Pas dans le cul aujourd’hui : derrière ce titre provocateur, extrait d’un poème de l’écrivaine tchèque Jana Černá, se cache une lettre d’amour passionnée et sans retenue qu’elle a écrite à son amant Egon Bondy au début des années 1960, et publiée en français en 2014 aux éditions La Contre Allée. Dans ce texte d’une centaine de pages, la fille de Milena Jesenská clame son désir à l’homme qu’elle aime, entremêlant considérations philosophiques et descriptions crues de ses fantasmes. Rebelle à tout conformisme, Jana Černá y affirme sa liberté totale de femme désirante et son refus de dissocier le corps et l’intellect. Pour évoquer ce texte, Radio Prague Int. a interrogé l’éditrice du texte, Anna Rizzello, qui a rappelé comment elle l’avait découvert.
Anna Rizzello : “J’ai découvert la lettre il y a très longtemps, une vingtaine d’année environ, en Italie. J’ai vu ce texte dans une librairie de Turin. C’était donc une traduction italienne. Ce n’était pas tout à fait le même texte que nous avons publié, mais c’était le même titre. Dans cette traduction italienne, il y avait ce texte et plusieurs de ses poèmes que nous n’avons pas reproduits dans notre édition.
Et l’envie est venue un jour de publier ce texte en français…
A.R. Entre les deux, j’ai déménagé en France. Ce texte m’a suivi, il était toujours dans ma bibliothèque. En 2013, j’ai organisé avec une amie un festival de littérature, appelé Littérature etc. C’était la première édition dont le thème était l’amour. En réfléchissant à des textes qui pourraient intégrer cette programmation. J’ai parlé de ce texte que nous avons traduit à deux, en faisant quelque chose d’un peu bâtard, pas forcément final. Cette traduction devait servir pour une lecture dans le cadre du festival. Je travaillais déjà aux éditions de la Contre-Allée, et la maison a bien voulu le publier. On a confié la traduction à Barbora Faure. Il y a donc eu plusieurs phases qui se sont terminées par la publication de la lettre un an après le festival, en 2014.
Il faut expliquer en quelques mots de quoi il s’agit. C’est une lettre d’amour très érotique, sans concessions, et en même temps qui est traversée de réflexions philosophiques. Tout est entremêlé. Pourriez-vous nous en dire plus ?
A.R. Effectivement ce qui est frappant, toujours aujourd’hui, et unique dans ce texte et dans le ton, c’est cet entrelacs de différentes choses. Il y a les aspects plus personnels, très émotifs. C’est une lettre d’amour que Jana Černá écrit à son amant en 1962. Ce n’était pas un texte destiné à la publication alors que par ailleurs elle était écrivaine. Ce texte était véritablement une lettre personnelle, intime. Elle est chez elle, le soir, elle ne savait pas forcément, en commençant à écrire, où cela la mènerait. Finalement, dans cette lettre, on croise tout : ce qu’est, pour elle, la relation amoureuse qui doit comprendre aussi bien un lien très fort au niveau intellectuel et sexuel. Tout ce qu’elle entend par poésie, philosophie et littérature est quelque chose de très concret en fait. C’est ce qui est beau, selon moi : c’est quelque chose qui, pour elle, est très lié au quotidien. La philosophie et la poésie ne vivent pas dans les bibliothèques ni les livres. Elles vivent dans la rue, dans les conversations avec les gens et dans la réalité. Je trouve cela très fort, d’autant plus que Jana Černá incarnait cela dans sa vie.
Ce n’est donc pas seulement un texte théorique, mais totalement incarné par elle. C’est pour cette raison que la lettre est si singulière aussi. C’était quelqu’un d’exceptionnel qui a eu une vie incroyable : elle a fait pleins de métiers différents, femme de ménage, poinçonneuse, elle a eu plusieurs enfants qui lui ont été enlevés parce qu’elle ne pouvait pas s’en occuper. C’était la fille de Milena Jesenská donc elle vient d’un milieu familial où plusieurs cultures se mêlaient. Elle ne sort pas de nulle part non plus. Dans sa lettre, elle développe quelque chose que l’on peut qualifier de philosophique même s’il n’y a rien de systématique ou de dogmatique. Le texte a été écrit en 1962 mais il me semble qu’il n’a pas pris une ride, que ce soit au niveau du vocabulaire que des thématiques. Cela reste encore tabou de dire des choses comme celles-ci et de cette façon.
Il faut en effet rappeler que Jana Černá est la fille de Milena Jesenská, mondialement connue pour avoir correspondu avec Franz Kafka, même si elle n’est pas du tout réductible à cette correspondance. C’est une journaliste, une grande figure de l’antinazisme dans la Tchécoslovaquie de l’entre-deux-guerres, elle a été résistante et a fini sa vie à Ravensbrück en 1944. Peut-on dire que cette sorte d’esprit rebelle de Jana Černá est un héritage de sa mère ?
A.R. Oui. D’ailleurs Jana Černá a écrit un livre magnifique sur sa mère, Vie de Milena, que nous avons également publié. Là aussi, il s’agit d’une biographie pas du tout conformiste dans le ton. Elle relate pleins de faits qui finalement donnent une profondeur et une richesse à la vie de sa mère. Elle s’inscrit aussi dans cette tradition-là de la rébellion, de l’anticonformisme et de la justice. Ce n’était pas de l’anticonformisme juste pour être anticonformiste. C’était quelque chose qui a à voir avec cette idée de justice très forte et très ancrée en Milena. Elle en est d’ailleurs morte et cette idée est clairement inscrite dans sa fille.
Dans l’introduction du livre, vous dites que cette lettre est une métaphore du féminisme. En quoi ?
A.R. C’est quelque chose que je pense personnellement. Je ne suis pas sûre que Jana Černá se serait reconnue dans cette affirmation. Je ne veux pas parler à sa place. Il s’agit de ma lecture. Mais pour tout ce que nous venons d’évoquer, oui, je pense qu’il y a quelque chose qui préfigure le féminisme, bien avant 1968, à travers cette liberté de ton vis-à-vis de la sexualité, de la façon dont elle l’envisage et dont elle vit au quotidien. Pour elle, il n’y a pas de hiérarchie dans le couple, elle assume pleinement son désir, sa sexualité et la façon dont elle veut la vivre. C’est extrêmement novateur pour l’époque cette affirmation du désir féminin. Effectivement, c’est un prélude aux revendications qui seront sur le devant de la scène en 1968 et dans les années 1970 avec le mouvement féministe.
Et peut-être même par rapport à notre période actuelle. La lettre est sortie en français en 2014. Aujourd’hui, le féminisme connaît, sous diverses formes, un véritable regain. Le texte est aussi en résonnance avec des affirmations féministes actuelles…
A.R. Absolument. C’est pour cela que ce texte continue d’être lu, six ans après sa publication. Il continue à circuler. Nous recevons encore beaucoup d’échos de libraires, de lecteurs… Il résonne très fort avec le contexte actuel. Les choses évoluent, mais il y a aussi des retours en arrière par rapport au désir féminin, au consentement, et à toutes ces questions. Ce texte-là n’est pas une réponse, mais plutôt quelque chose qui peut toujours nous éclairer. C’est ainsi qu’on devrait vivre sa propre sexualité et c’est ainsi qu’elle devrait aussi être perçue du point de vue masculin. C’est aussi cela qui est intéressant : c’est une femme qui écrit, mais elle s’adresse à un homme. D’ailleurs, en France, on a reçu beaucoup d’échos de la part d’hommes, ce qui est rare pour un texte de ce type. Souvent, ce sont des femmes qui s’expriment, mais là, c’était aussi beaucoup les hommes. Je pense que ça fait du bien aux hommes aussi de lire un texte comme celui-ci !
Rappelons dans quel contexte la lettre est écrite. On est dans les années soixante. On est avant la libéralisation du Printemps de Prague qui est un peu plus tardive, mais il y a ces cercles underground autour de son amant Egon Bondy et d’autres écrivains tchèques. Il y a tout de même un vrai bouillonnement intellectuel et artistique à cette époque-là…
A.R. Tout à fait. Bohumil Hrabal faisait également partie du cercle de ses amis. Jana Černá s’inscrivait vraiment dans cette avant-garde, avant le Printemps de Prague. Elle écrivait, mais il y avait deux types d’écriture chez elle : les livres qui passaient la censure, qu’elle publiait sous nom et dont elle n’était pas très fière, et il y avait les vrais textes littéraires qui étaient publiés en samizdat, lus par ses amis, par Bondy, Hrabal et les autres. Elle à la fois vécu et contribué à cette effervescence de l’époque.
Dans ce texte, le langage est extrêmement cru, mais pas une seconde on a l’impression que c’est vulgaire. Un vrai tour de force !
A.R. Oui, c’est vrai. C’est ce que j’ai ressenti, de même que tous les lecteurs et les lectrices. Ce n’est pas vulgaire du tout. Ce n’est pas seulement le fait qu’elle soit une grande écrivaine, mais c’est aussi une question de sensualité, de sentiments. Ce qu’elle exprime dans cette lettre est totalement sincère, elle ne cherche pas à choquer. Elle ne fait pas de la provocation facile, elle dit les choses comme elle les pense. Ce n’est jamais vulgaire parce que c’est juste l’expression de quelque chose de très profond qui ne cherche pas à choquer, et a fortiori pas Egon Bondy ! Il en a certainement vu d’autres… Il faut garde cela en tête aussi. C’est un écrit intime pour quelqu’un qui la connaît. Dès lors, cette sensualité-là passe sans problème. »
Anna Kubišta
Ce qu’ils en disent…
[RTBF.BE, 30 septembre 2014] Tiré d’un poème de l’auteure, le titre souligne à la fois la charge érotique du texte et la rébellion extraordinaire d’une femme face à l’ambiance étouffante en Tchécoslovaquie d’après-guerre. Probablement écrite en 1962, cette lettre est un véritable manifeste pour la liberté individuelle.
Dans les années qui précèdent le Printemps de Prague, Jana Černá livrait dans cette lettre à Egon Bondy sa volonté de révolutionner les codes de conduite, de rechercher de nouveaux possibles dans la vie privée, les rapports sentimentaux et la sexualité. En refusant de se soumettre à la primauté masculine, elle affirme aussi son souhait d’une sexualité non séparée des sentiments et de l’activité intellectuelle.
Dotée d’une personnalité hors du commun, Jana Černá fascinait son entourage par sa vitalité et son audace. Plusieurs fois mariée et mère de 5 enfants, elle n’a exercé que des emplois occasionnels tels que femme de ménage, contrôleuse de tramway etc. Marginalité et rejet de tout conformisme social, langagier ou politique semblent avoir été ses maîtres mots. Cette lettre débarrassée de toutes conventions, au ton libre et spontané, est d’une étonnante modernité.
Jana Černá fréquente Egon Bondy, auteur mythique en Tchéquie, spécialiste des philosophies orientales, mais aussi auteur des textes des Plastic People of the Universe, le groupe de rock symbole de la rébellion des années 70. Tous deux font partie de la culture clandestine de Prague avec Bohumil Hrabal, l’un des plus importants écrivains tchèques de la seconde moitié du XXe siècle. Ils ont publié leurs écrits sous forme de ‘Samizdat’ (système de circulation clandestine d’écrits dissidents en URSS et dans les pays du bloc de l’Est) jusqu’à la chute du communisme. Jana Černá collaborera à différentes publications de cette mouvance, sous divers pseudonymes (Gala Mallarmé, Sarah Silberstein) ainsi que sous son nom de Jana Krejcarova.
Myriam Leroy
ČERNÁ Jana, Pas dans le cul aujourd’hui a probablement été rédigé en 1962 et est paru chez La Contre Allée en 2014, dans une traduction de Barbora Faure.
CZ > FR
EAN 9782917817278
96 pages
Disponible en ePub et poche.
Ce que nous en disons…
Une parole libre, salutaire en ces temps de puritanisme qui rongent nos horizons…
S’ il existe un espoir concret que tu produises un fruit mûr alors c’est seulement à condition que ce fruit te comprenne tout entier, avec tes chaussettes, ton horreur des bibliothèques, ta barbe, ta bière, ta fantaisie, ton intellect, ta queue, tout ce qui se rapporte à toi.
L’auteure…
[infos éditeur] Jana Černá (Honza, “Jeannot”, pour sa mère) est née à Prague en 1928, fille de l’architecte avant-gardiste J. Krejcar et de Milena Jesenská (la célèbre Milena de Kafka, journaliste et résistante, emprisonnée en août 1939 et morte à Ravensbrück). Confiée à son grand-père, Jana a suivi des études secondaires, puis artistiques. Elle a très vite choisi la vie de bohème et n’a jamais exercé d’emploi stable, exerçant des activités occasionnelles telles que femme de ménage, contrôleuse de tramway, aide-cuisinière. A la mort de son grand-père en 1947 elle s’est trouvée à la tête d’un vaste héritage qu’elle n’a pas tardé à dilapider. Plusieurs fois mariée et mère de 5 enfants, elle a fréquenté les milieux littéraires de la mouvance surréaliste et underground et collaboré à différentes publications de cette mouvance, sous divers pseudonymes (Gala Mallarmé, Sarah Silberstein) ainsi que sous son nom de Jana Krejcarova. Marginalité et rejet de tout conformisme social, langagier ou politique semblent avoir été ses maîtres mots. Vers la fin de sa vie elle se consacre à la création de céramiques. Elle meurt en 1981 dans un accident de la circulation. Le philosophe Egon Bondy, dans la vie de qui elle est restée profondément ancrée, a écrit le jour de son enterrement : “On l’enterre en ce moment et moi je suis si loin, assis dans une ville glacée où personne ne sait qu’elle a été ce que l’homme peut atteindre de plus grand.”
[LIVREDEPOCHE.COM] En Grèce, sur une île des Cyclades, un homme se souvient de la ville d’Alexandrie. Avec une mémoire d’archiviste, il raconte ce qu’il a vécu là-bas avant la Seconde Guerre mondiale. Narrateur anonyme, Anglo-Irlandais entre deux âges, professeur par nécessité, il classe ses souvenirs, raconte son amour pour Justine, une jeune pianiste séduisante, un peu nymphomane et somnambule ; il évoque sa liaison avec l’émouvante Melissa, sa maîtresse phtisique. D’autres personnages se dessinent. D’abord Nessim, le mari amoureux et complaisant de Justine, Pombal, le Français, Clea, l’artiste-peintre, Balthazar, le médecin philosophe. Mais Justine, d’abord Justine, est au coeur de ce noeud serré, complexe, étrange, d’amours multiples et incertaines…
En achevant le premier tome de son fameux Quatuor d’Alexandrie (Balthazar, Mountolive et Clea succéderont à Justineet seront publiés entre 1957 et 1960), Lawrence Durrell (1912-1990) en donna à son ami Henry Miller une définition devenue célèbre : « C’est une sorte de poème en prose adressé à l’une des grandes capitales du coeur, la Capitale de la mémoire…«
Balthazar (1958)
[LIVREDEPOCHE.COM] Deuxième volet du Quatuor d’Alexandrie, l’œuvre maîtresse de Lawrence Durrell, publiée entre 1957 et 1960, Balthazarest peut-être moins la suite de Justine que sa reprise, son amplification, selon un nouvel éclairage. Le narrateur et acteur du précédent livre reçoit la visite de Balthazar, le docteur juif, qui lui rapporte le manuscrit de Justine complété d’annotations, d’informations et de vérités contradictoires, qu’il ignorait jusqu’à présent. En un sens, le personnage de Balthazar devient le coauteur de ce second récit qui porte d’ailleurs son nom.
Les mêmes protagonistes sont considérés sous de nouveaux éclairages. La situation politique de l’Egypte entre les deux guerres, la révélation d’un complot copte, la mort de Melissa, la folie de Nessim, la fuite de Justine s’éclairent et s’approfondissent dans cette ville d’Alexandrie, de pure fascination, omniprésente, cette ville des défaites, des amours, des abandons, des décadences et des mélancolies.
La lecture de Balthazar permet de comprendre l’immense succès public que remporta la tétralogie romanesque de l’écrivain anglais. Mais on mesure surtout ici ses audaces et sa liberté formelle. En un mot, sa remarquable modernité. Roman intimiste mais aussi historique, poétique et philosophique, Balthazar a été écrit en six semaines.
Mountolive (1958)
[LIVREDEPOCHE.COM] Mountoliveoffre une nouvelle perspective sur les événements relatés dans Justine et Balthazar, es deux premiers volumes du Quatuor d’Alexandrie, l’oeuvre romanesque maîtresse de Lawrence Durrell (1912-1990) .
L’ambassadeur anglais, Mountolive, en devient le personnage principal. Il a parcouru l’Europe de l’avant-guerre, surpris à Berlin le mari de la belle et mystérieuse Justine en train d’acheter de armes pour défendre les coptes contre les Anglais. En bref, il perd ses illusions en découvrant la véritable personnalité de ses amis…
De ce volume, Lawrence Durrell disait : « Un style, totalement différent, une affaire naturaliste. » Ou encore : « Un gros roman orthodoxe. »
Mais il ne faut pas s’y tromper, le bonheur fou et méditerranéen de ce livre au romanesque échevelé et classique n’est peut-être pas si limpide que cela. Mountolive pourrait s’intituler ‘le livre de la fausse clarté’. Et c’est bien cette ambiguïté de sentiments et de la réalité qui donne à cette oeuvre unique sa mélancolie la plus déchirante.
Cléa (1960)
[LIVREDEPOCHE.COM] Cleaest le quatrième et dernier volet du Quatuor d’Alexandrie, cette oeuvre magistrale que Lawrence Durrell composa entre 1957 et 1960. À cette entreprise romanesque aux facettes multiples, il fallait un dénouement. Ce sera donc Clea. Durrell écrivait à Henry Miller : « J’espère ajouter la quatrième dimension – Le Temps dans le dernier volume. » Clea, c’est un peu le Temps retrouvé du Quatuor. L’action désormais se situe après les événements rapportés dans Justine, Balthazar et Mountolive. Le narrateur quitte son île pour revenir à Alexandrie. La guerre touche à sa fin. Justine a vieilli, Balthazar est malade et solitaire. Seule, Clea, l’artiste, et, bien sûr, Alexandrie ont gardé leur pouvoir de séduction.
Le roman s’achève sur un échange de lettres entre le narrateur et Clea. Leur liaison s’interrompt. L’histoire se termine et recommence. De nouveau sur l’île, le narrateur entreprend la rédaction de son livre qui commence par ces simples mots : « Il était une fois…«
DURRELL Lawrence, Le quatuor d’Alexandrie est composé de quatre romans distincts :
Justine (1957),
Balthazar (1958),
Mountolive (1958),
Cléa (1960).
Il est paru intégralement en Pochothèque chez Livre de Poche en 2003, avec une préface de Vladimir Volkoff. La traduction est de Roger Giroux. L’édition est annotée et suivie d’une postface de Christine Savinel | UK > FR | EAN 9782253132752 | 1052 pages.
Ce que nous en disons…
Jamais l’envol vers une prose plus poétique n’a autant permis d’approfondir la réalité kaléidoscopique de l’amour. Lecture pas toujours facile mais découverte incontournable…
Je ne suis ni heureux ni malheureux : je vis en suspens, comme une plume dans l’amalgame nébuleux de mes souvenirs. J’ai parlé de la vanité de l’art mais, pour être sincère, j’aurais dû dire aussi les consolations qu’il procure. L’apaisement que me donne ce travail de la tête et du cœur réside en cela que c’est ici seulement, dans le silence du peintre ou de l’écrivain, que la réalité peut être recréée, retrouver son ordre et sa signification véritables et lisibles. Nos actes quotidiens ne sont en réalité que des oripeaux qui recouvrent le vêtement tissé d’or, la signification profonde. C’est dans l’exercice de l’art que l’artiste trouve un heureux compromis avec tout ce qui l’a blessé ou vaincu dans la vie quotidienne, par l’imagination, non pour échapper à son destin comme fait l’homme ordinaire, mais pour l’accomplir le plus totalement et le plus adéquatement possible. Autrement pourquoi nous blesserions-nous les uns les autres ? Non, l’apaisement que je cherche, et que je trouverai peut-être, ni les yeux brillants de tendresse de Mélissa, ni la noire et ardente prunelle de Justine ne me le donneront jamais. Nous avons tous pris des chemins différents maintenant; mais ici, dans le premier grand désastre de mon âge mûr, je sens que leur souvenir enrichit et approfondit au-delà de toute mesure les confins de mon art et de ma vie. Par la pensée je les atteins de nouveau, je les prolonge et je les enrichis, comme si je ne pouvais le faire comme elles le méritent que là, là seulement, sur cette table de bois, devant la mer, à l’ombre d’un olivier. Ainsi la saveur de ces pages devra-t-elle quelque chose à leurs modèles vivants, un peu de leur souffle, de leur peau, de leur inflexion de leur voix, et cela se mêlera à la trame ondoyante de la mémoire des hommes. Je veux le faire revivre de telle façon que la douleur se transmue en art… Peut-être est-ce là une tentative vouée à l’échec, je ne sais. Mais je dois essayer…
L’auteur.e…
[UNIVERSALIS.FR] Irlandais comme James Joyce, né aux Indes comme Rudyard Kipling, diplomate comme Saint-John Perse, Lawrence Durrell (1912-1990) est à la fois un romancier et un poète. C’est aussi un essayiste.
Il abandonne ses études à dix-sept ans. Sa vie, pendant les années trente, jusqu’à la guerre, sera celle d’un beatnik avant la lettre. Il exerce plusieurs métiers : pianiste, photographe, et il publie ses premiers poèmes : Fragment original (Quaint Fragment, 1931), Ballade de la décomposition lente (Ballad of Slow Decay, 1931), Dix Poèmes (Ten Poems, 1932). Toujours à la recherche du soleil, à défaut de retrouver celui de son enfance, il se dirige vers la Méditerranée, et aboutit à Corfou, qui devient l’un des pôles d’attraction de sa vie : il y retournera, il y écrira, il en parlera dans L’Île de Prospéro (Prospero’s Cell, 1945). Il voyage ensuite en Europe, surtout en France et en Italie, et rencontre Henry Miller à Paris en 1937. Puis Lawrence Durrell retourne à Londres, où il publie, sans grand succès, deux romans : Pipeau bariolé des amants (Pied Piper of Lovers, 1935) et Printemps ou Tremplin d’épouvante (Panic Spring, 1937). Enfin, avec Le Carnet noir (The Black Book) publié à Paris en 1938, Lawrence se libère de ses obsessions, en particulier de la grisaille britannique qu’il appelle ‘la mort anglaise’, et s’émancipe de l’influence d’Henry Miller. Le Carnet noir est une œuvre étrange et difficile à classer, une sorte de catharsis lyrique et diffuse, qui n’est pas sans parenté, par sa révolte, avec les angoisses des écrivains américains de San Francisco et de Greenwich Village de cette époque.
Lors de la déclaration de guerre, il se trouve en Grèce à nouveau, à Corfou. Nommé attaché de presse à Athènes, il va au Caire, puis à Alexandrie, qui sera son second pôle d’attraction. C’est là qu’il situera sa fameuse tétralogie, Le Quatuor d’Alexandrie.
Il continue d’écrire et de publier de nombreux poèmes : Un pays privé (A Private Country, 1943), Cités, plaines et gens (Cities, Plains and People, 1946), Présomptions (On Seeming to Presume, 1948), Deus loci (1950). Mais il se lance aussi dans un genre nouveau, les récits de voyages, ou plutôt de séjours, le plus souvent à propos d’une île méditerranéenne : Corfou, avec l’Île de Prospéro ; la Crète, avec Cefalù, 1947 (qui est cette fois-ci un vrai roman), et plus tard, en 1953, Rhodes, avec Vénus et la Mer (Reflections on a Marine Venus). Ces œuvres, à mi-chemin entre la poésie et le roman, révèlent un grand talent d’évocation des lieux, des paysages et des personnages. Plus que les êtres, ce sont les lieux, les ‘dei loci’, qui importent.
En cela, ces récits poétiques préfigurent le fameux Quatuor d’Alexandrie. En effet, Justine (1957), Balthazar (1958), Mountolive (1958) et, enfin, Cléa (1960) composent comme les mouvements d’un quatuor complexe, où les événements et les personnages foisonnent, reflétant le grouillement de la ville d’Alexandrie, véritable sujet de la tétralogie. C’est à Alexandrie en effet, dans le fourmillement de ses bas-fonds, dans la valse élégante de ses diplomates, parmi les complots où rivalisent Anglais, Juifs, Arabes, Coptes et d’autres encore, que se noue, pendant la Seconde Guerre mondiale, le destin des héros.
Mais l’ambition de Durrell est plus vaste que celle, modeste, de décrire simplement une ville, si grouillante fût-elle, à travers son atmosphère et la psychologie de ses habitants.
Avec une audace et une virtuosité technique (sur laquelle il attire lui-même l’attention dans sa préface à Balthazar), il cherche à découvrir une forme romanesque nouvelle, « appropriée à notre époque, qui mériterait le nom de classique. » Ainsi, en quête de l’amour moderne, Durrell décide de s’inspirer de la théorie de la relativité, ce symbole du xxe siècle : « Trois parties d’espace et une de temps, voilà la recette pour cuisiner un continuum. » Justine, Balthazar et Mountolive représenteront trois visions simultanées des mêmes événements, romans sosies plutôt que suites, tandis que Cléa viendra ajouter la dimension temporelle. D’un livre à l’autre, le regard change, un même personnage passe de la narration subjective à une description objective ; sous un angle d’observation différent, des actes et des événements identiques prennent une signification nouvelle. Avec Cléa (récit du retour du narrateur à Alexandrie, quelques années plus tard), c’est le recul du temps qui cette fois change l’aspect des personnages comme la signification de leurs actes. Cette vision kaléidoscopique des hommes et des événements conduit le lecteur à s’interroger sur la vérité.
Cependant, malgré la prouesse technique et le talent dont Durrell fait preuve à chaque instant, on peut parfois se demander si l’exotisme florissant, le goût prononcé pour la couleur locale et les multiples épisodes mélodramatiques (en particulier dans Cléa) ne desservent pas l’œuvre plus qu’ils ne la servent.
Fixé dans le sud de la France, où il se passionne pour la construction des murs en pierres sèches, Lawrence Durrell a publié ensuite La Révolte d’Aphrodite (The Revolt of Aphrodite) composé de deux romans : Tunc (1968) et Nunquam (1970), ainsi que sa correspondance avec Miller (A Private Correspondance, 1963). Son goût des jeux de miroirs et des labyrinthes romanesques l’a amené à créer une nouvelle suite, Le Quintette d’Avignon, dont les titres sont : Monsieur, ou le Prince des ténèbres (Monsieur ; or, the Prince of Darkness, 1974), Livia, ou l’Enterrée vive (Livia ; or, Buried Alive, 1978), Constance, ou les Pratiques solitaires (Constance ; or Solitary Practices, 1982), Sebastian, ou les Passions souveraines (Sebastian ; or, Ruling Passions, 1983) et Quinte, ou la Version Landru (Quinx ; or, the Ripper’s Tale, 1985).
Ann Daphné GRIEVE
En savoir plus…
Justine est également devenu un film de George CUKOR (1969), avec Anouk Aimée…
Il y a dans ce livre des accents poétiques, une tendresse à fleur de peau qui se marie avec la perception d’un monde inexorable.
Madame Figaro
[EDITIONSPOINTS.COM] Quelque part en Afrique, la nuit, un homme assis sur le toit d’un théâtre contemple la ville. A ses pieds, allongé sur un matelas, un enfant blessé par balle est en train de mourir. Nelio, dix ans, possède pourtant la sagesse et l’intelligence d’un vieil homme… Pendant les neuf nuits qui lui restent à vivre, il va raconter l’histoire de sa vie.
Tandis que la guerre civile faisait rage, Nelio, alors âgé de six ans, a été l’unique rescapé de la mise à sac de son village. Après une période d’errance ponctuée de rencontres étranges, il finit par se retrouver en ville et par rejoindre un groupe d’enfants des rues. Un jour, il est blessé mortellement par un gardien du théâtre qui le prend pour un voleur.
Le narrateur est José Antonio Maria Vaz, un simple boulanger africain qui a connu la domination portugaise et qui, comme dans les Mille et Une Nuits, recueille le récit de Nelio, suspendu aux premières lueurs du jour jusqu’à la nuit suivante.
Tel est le conte humaniste, cruel et tendre à la fois, que Henning Mankell ciselle de main de maître, abordant, au-delà de l’histoire de Nelio, tout autant la misère dans les État ruinés d’Afrique après l’ère coloniale, que maints aspects de l’existence humaine : le rôle de l’art et de l’imagination chez l’individu, les forces mystérieuses qui nous gouvernent et le sens de la vie.
[AFRICINE.ORG] On pouvait craindre le pire : un film réalisé par une Occidentale sur les enfants des rues au Mozambique d’après le roman d’un auteur à succès suédois. La surprise est d’autant plus grande : Comédia infantil, qui laisse l’enfant Nelio raconter sa dramatique histoire dans un Mozambique en guerre, est attachant sans verser dans le sentimentalisme, magique sans être niais, engagé sans brandir de pancarte et beau sans carte-postale. Tout tient bien sûr dans la manière de traiter le sujet. On retrouve dans cette écriture cinématographique quelque chose de Marguerite Duras : des plans lacunaires et incisifs centrés sur des détails signifiants, une stylisation générale évitant systématiquement tout effet esthétisant, et en définitive un étonnement ménagé au spectateur à chaque image. Un enfant raconte son histoire mais c’est d’une réécriture qu’il s’agit. Une distance littéraire (il réfléchit ce qu’il vit) vient renforcer une distance théâtrale (il rejoue son histoire pour finalement déboucher sur une scène de théâtre). Si bien que le réalisme des détails donne paradoxalement naissance à une atmosphère irréelle, où la magie trouve une place toute naturelle. Cela n’empêche pas l’identification mais nous dispense des larmes, car l’émotion ressentie ne provient pas d’une peur de ce qui nous arriverait si on était à la place de l’enfant mais davantage du réveil en soi d’une compréhension sensible du cycle de la vie et de la mort, du drame de la guerre, de la magie de la vie.
On retrouve la subtilité développée dans Kirikou la sorcière de Michel Ocelot et l’on peut souhaiter au film le même succès tant chez les jeunes que chez les adultes. Il n’y a pas de hasard : tout comme Ocelot a puisé dans son enfance guinéenne, Henning Mankell, l’auteur du livre dont est tiré le film, vit au Mozambique où il dirige le Théâtre Avenida qui sert de décor au film. La réalisatrice vit elle-même entre Portugal et Suède et l’on retrouve dans le film certaines obsessions de la culture portugaise (culture coloniale : il appartiendrait à un auteur mozambicain d’en déceler les ambiguïtés) comme l’inscription de la violence dans le cycle de la vie ou la recherche d’un monde spirituel intermédiaire. Aux soldats portant des masques de mort qui vont jusqu’à écraser un enfant dans un mortier s’oppose une femme-lézard qui sauve et initie à la fois. Le film devient ainsi une série d’étapes initiatiques où l’enfant Nelio engrange les expériences lui permettant d’affirmer les valeurs de vie qui permettront à cette société de sortir de la guerre. Comme dans le final du magnifique Mortu Nega (Ceux dont la mort n’a pas voulu) du Bissau-Guinéen Flora Gomes, une rencontre est proposée entre les morts et les vivants pour pouvoir danser sur la scène du théâtre de la vie. Le boulanger, qui a écouté durant tout le film l’histoire de Nelio, peut alors généreusement offrir ses croissants aux enfants des rues et quitter son état de soumission pour partir sur le chemin de l’autonomie.
Olivier Barlet
MANKELL Henning, Comédia infantil est paru en suédois en 1995 puis en français chez Points en 2003, dans une traduction de Agneta Segol et Pascale Brick-Aïda. Il est réédité chez Points depuis 2016.
SV > FR
EAN 9782020799072
288 pages
Ce que nous en disons…
La maîtrise de Mankell permet une émotion contenue d’une rare intensité, l’horreur est évidente mais sans l’indécence du pathos, l’humanité rayonne à chaque page. C’est une Afrique qui sonne juste, profonde et incarnée, sous la plume d’un suédois qu’on a connu plus détaché.
Nous étions déjà sous le charme des deux récits non-policiers de Mankell (Les chaussures italiennes en 2019 et Les bottes suédoises en 2020). C’est un souffle plus large encore qui habitait l’histoire de José Antonio Maria Vaz et de Nelio, quelques années auparavant. A lire d’urgence…
Moi qui porte le nom de José Antonio Maria Vaz, j’attends la fin du monde debout sur un toit en terre rouge brûlée par le soleil. La nuit sous le ciel étoilé des Tropiques est suffocante et humide. Je suis sale et fiévreux. Mes vêtements en lambeaux semblent vouloir se détacher de mon corps décharné. J’ai de la farine dans mes poches et elle est pour moi plus précieuse que l’or. Il y a un an, j’étais encore quelqu’un, j’étais boulanger, alors qu’à présent je ne suis plus personne. Je ne suis plus qu’un mendiant qui passe ses journées à errer sous le soleil brûlant, et ses nuits interminables à attendre sur le toit vide d’une maison. Mais les mendiants possèdent aussi leurs signes, qui leur assurent une identité et les distinguent de tous ceux qui exposent leurs mains au coin des rues, comme pour les offrir ou pour vendre leurs doigts, les uns après les autres. José Antonio Maria Vaz est ce miséreux connu sous le nom du Chroniqueur des Vents. Mes lèvres bougent sans relâche, jour et nuit, comme pour raconter une histoire que personne n’a jamais eu le courage d’écouter. J’ai fini par accepter que la mousson venant de la mer soit mon unique auditeur, toujours aussi attentif, patient comme un vieux curé qui attend la fin de la confession. […]
La dernière nuit
Le soleil était tout près de mon âme le dernier jour où Nelio était encore en vie. Quand je vidais mes poumons, l’air s’embrasait pour retomber ensuite sur le pavé comme des cendres noires. Jamais, ni avant ni après, je n’ai connu une chaleur aussi intense. Impossible de trouver de la fraîcheur. Même le vent, qui venait de la mer, haletait d’épuisement. J’errais nerveusement dans les rues, me glissant, quand je le pouvais, dans des endroits ombragés et secs où les gens cherchaient vainement un peu de répit. Un étourdissement croissant menaçait de me jeter à terre. Je ne savais plus très bien où j’en étais. J’avais l’impression que tout ce qui m’arrivait était une erreur qui ne concernait personne et dont personne n’était vraiment responsable. Pour la première fois,je voyais le monde tel qu’il était. Ce monde dont Nelio avait perçu le secret avant même d’être adulte.
Et qu’est-ce que je voyais ? Le moteur d’un tracteur hors d’usage gisait là comme un poème narquois pour me parler de ce monde qui était en train d’éclater sous mes yeux. Un enfant de la rue fouettait violemment la terre comme pour la punir de sa propre misère. Un vautour solitaire planait silencieusement au-dessus de ma tête. Il se laissait porter par les vents ascendants, insensible aux rayons du soleil qui essayaient de percer son plumage. Son ombre me frappait de temps à autre comme une masse métallique et me pressait contre le sol. J’ai vu un vieil homme noir, tout nu, qui se lavait à une pompe. Malgré la chaleur, il frottait énergiquement son corps comme s’il voulait arracher sa vieille peau usée. Sous le soleil impitoyable, j’ai découvert, ce jour-là, le vrai visage de la ville. J’ai compris que les pauvres, trop occupés à se débattre sur le fil ténu de la survie, n’avaient pas le temps de préparer leur vie et étaient forcés de la consommer à l’état brut. J’ai vu ce temple de l’absurde qu’était la ville, qu’était peut-être aussi le monde, à l’image de ce qui m’entourait. Je me trouvais en réalité au beau milieu de la cathédrale sombre de l’impuissance. Ses murs s’écroulaient lentement en soulevant une poussière épaisse. Ses vitraux multicolores avaient disparu depuis bien longtemps déjà. Autour de moi, je ne voyais que des pauvres. Les autres, les riches, évitaient les rues et s’abritaient dans l’enceinte de leurs bunkers où des machines chuintantes maintenaient une fraîcheur constante. Le monde n’était plus rond. Il était redevenu plat et la ville était située à son bord extrême. Si jamais les maisons se faisaient de nouveau balayer des pentes escarpées par de violentes pluies, elles ne seraient plus précipitées dans le fleuve, mais dans un gouffre sans fond.
Ce jour-là, la ville semblait être la victime d’une invasion subite, non pas de sauterelles, mais de prêcheurs. Ils étaient partout, perchés sur des caisses, des cartons, des palettes ou des poubelles. Le visage ruisselant de sueur, ils tentaient d’attirer les gens en usant de leur voix plaintive et de leurs mains suppliantes. Des hommes et des femmes les ont rejoints. Ils balançaient leur corps en fermant les yeux, espérant trouver un changement radical au moment de les rouvrir. Certains se tordaient convulsivement par terre, d’autres s’éloignaient en rampant comme des chiens battus, d’autres encore jubilaient pour des raisons qui m’échappaient. Moi qui avais toujours cru que l’Apocalypse se déroulerait sur fond de pluie, de nuages noirs déchiquetés, de tremblements de terre et sous un millier d’éclairs, je m’apercevais que je m’étais trompé. C’est sous un soleil de plomb que le monde allait disparaître. Nos ancêtres – sans doute des millions -, ne pouvant plus supporter la souffrance que les vivants s’infligeaient les uns aux autres, s’étaient réunis pour que nous nous retrouvions tous ensemble dans l’autre monde, après la chute dans le néant. Les rues que j’arpentais ne seraient alors plus qu’un souvenir dans la mémoire de ceux qui n’avaient pu apprendre à oublier.
Je suis passé devant une maison où un homme, pris de folie, était en train de lancer ses meubles par la fenêtre. Il appelait sans cesse son frère Fernando qu’il n’avait pas revu depuis le début de cette guerre que les bandits avaient imposée à notre pays. Je l’ai vu au moment où il jetait son lit. En heurtant le trottoir, le matelas s’est éventré et le bois a éclaté. Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai poursuivi mon chemin. Pourquoi je ne lui ai pas dit de s’arrêter. Je me le demande encore.
Le dernier jour où Nelio était encore en vie reste pour moi comme la longue représentation d’un rêve dont je n’aurais gardé que des souvenirs partiels. Quelque chose était sur le point de se terminer dans mon existence, et soudain j’ai commencé à comprendre le véritable sens du récit de Nelio. J’avais peur de l’inévitable. Peur que son histoire ne s’achève. Peur que tout soit révélé et qu’il meure des suites de sa terrible blessure à la poitrine. Finalement, l’unique chose que la vie nous offre gratuitement, à nous les pauvres, aux gens comme Nelio et moi, c’est la mort.
Nous sommes forcés de consommer la vie à l’état brut. Et après … il n’y a plus que la mort qui nous attend.
Il ne nous est jamais donné d’envisager le lendemain sans crainte. Nous n’avons jamais le temps de préparer la joie ou d’astiquer nos souvenirs pour les faire briller. […]
Moi, José Antonio Maria Vaz, seul sur un toit, sous le ciel étoilé des Tropiques, j’ai une histoire à raconter…
L’auteur…
Henning Mankell, né en 1948 dam le Harjedalen, vit entre le Mozambique et la Suède. Écrivain multiforme, il est l’un des maîtres incontestés du roman policier suédois. Sa série centrée autour de l’inspecteur Wallander, et pour laquelle l’Académie suédoise lui a décerné le Grand Prix de littérature policière, décrit la vie d’une petite ville de Scanie et les interrogations inquiètes de ses policiers face à une société qui leur échappe. En France, il a reçu le prix Mystère de la critique, le prix Calibre 38 et le Trophée 813. Il est aussi l’auteur de romans ‘africains’ empreints de réalisme poétique. Couronné par plusieurs prix littéraires, Comédia infantil a été adapté à l’écran en 1998 (Prix spécial Cannes junior 1999).
En savoir plus…
Comédia infantil, un film de Solveig Nordlund : 1997, Suède (Torromfilm) – Portugal (Prole Filme) – Mozambique (Avenida Produções), 92 mn, 35 mm, dolby. Distr. Cinema public films (01 47 57 36 36). Sortie France le 9 février | Résumé : L’histoire de Nélio, un gamin mozambicain, dont le destin est bouleversé par la guerre. Sa famille est décimée par les terroristes. Conduit dans un camp pour enfants soldats, il s’échappe, gagne la ville et devient le chef d’une bande des rues. Peu à peu, les gens commencent à lui prêter des pouvoirs de guérisseur, sa réputation grandit et on vient vers lui pour chercher du secours et repousser la mort. Mais la guerre le rattrape…
[CHEZREVEL.NET] La publication de Pourquoi des philosophes en 1957 suscita une véritable révolution, aussi bien chez les philosophes que chez les non-philosophes. traîné dans la boue ou porté aux nues, ce livre constituait, au-delà du pamphlet de circonstance, une mise en question de l’essence même de l’activité philosophique. Revel y explique comment la philosophie a épuisé son rôle historique qui était de donner naissance à la science. Depuis, et après La Cabale des dévots (1962), qui en constitue la suite et réunit les réponses aux polémiques soulevées par cet ouvrage, de nombreuses rééditions sont venues confirmer l’influence des brillants pamphlets philosophiques de Jean-François Revel. Réunis en un seul volume, et augmentés de textes complémentaires, ces deux essais ne constituent en fait qu’une seule œuvre qui demeure d’une étonnante actualité.
[LIBREL.BE] La publication, en 1957, de Pourquoi des philosophes, a été à l’origine d’une controverse qui a touché un public beaucoup plus large que celui des philosophes professionnels. À une époque où la philosophie française cherchait sa voie entre le renouvellement de sa tradition et l’acclimatation de la philosophie allemande, Revel remettait en cause l’idée même de la philosophie et sa place dans la pensée moderne. Dans Pourquoi des philosophes et dans La Cabale des dévots (1962), où il répond aux objections de ses contradicteurs, Revel s’en prend avec un talent polémique – et comique – exceptionnel aux principales idoles de la philosophie française de son temps. Il déplore que l’histoire de la philosophie soit de moins en moins historienne, pour se concentrer sur l’étude interne des systèmes. Il met en cause le spiritualisme et l’idéalisme dominants dans la tradition française, qu’il trouve incompatibles avec les engagements politiques des philosophes français, et qui sont selon lui relayés par la phénoménologie de Husserl et surtout de Heidegger, dont il met en question la méfiance devant la science et la technique modernes. Il dénonce, enfin, la méconnaissance de la psychanalyse, dont les enseignements sont à ses yeux dénaturés par Jacques Lacan. Outre ces deux classiques de la grande littérature polémique, ce volume contient l’Histoire de la philosophie occidentale réunissant ainsi tous les ouvrages que Jean-François Revel a consacrés à la philosophie. On peut voir que son « antiphilosophie » se fonde sur une vision cohérente, informée et argumentée de l’histoire de la philosophie depuis sa naissance en Grèce jusqu’aux débuts de la science expérimentale. Même si on ne le suit pas dans ses conclusions, on lira avec plaisir les analyses qu’il consacre à Platon, à Montaigne et aux grands métaphysiciens du XVIIe siècle – héritiers brillants d’un Descartes que, comme Pascal, il juge « inutile et incertain« .
REVEL Jean-François, Pourquoi des philosophes est paru chez Julliard en 1957, a été réédité chez Jean-Jacques Pauvert en 1964 puis repris dans un des Bouquins chez Robert Laffont en 2013.
FR
EAN 9782221136416
184 pages
L’auteur…
[CHEZREVEL.NET] Jean-François REVEL (1924-2006), de son vrai nom Jean-François Ricard, est né le 19 janvier 1924 dans le 7e arrondissement de Marseille, fils de Joseph et France Ricard. Sa famille est d’origine franc-comtoise. Il passe son enfance à Marseille, habitant dans le quartier Sainte-Marguerite, et fait ses études primaires et secondaires à l’École Libre de Provence. Après l’obtention du baccalauréat littéraire en juillet 1941, il prépare à Lyon, au lycée du Parc, l’École normale supérieure, où il est reçu en juillet 1943 24e ex-aequo, dès sa première tentative. Il est alors âgé de 19 ans.
Dès 1943 et jusqu’à la fin de la guerre, alors étudiant rue d’Ulm, il participe activement à la Résistance sous la direction d’Auguste Anglès, avec le pseudonyme “Ferral”. En 1944, après la Libération, il est chargé de mission au Commissariat de la République de la région Rhône-Alpes pendant quelques mois. C’est pendant cette période de guerre qu’il publie ses premiers textes, dans la revue Confluences.
Durant l’été 1945, il se marie avec Yahne le Toumelin ; de cette union naîtront deux enfants, dont le futur moine bouddhiste Matthieu Ricard, né en février 1946, et Ève Ricard-Reneleau, écrivaine.
En 1947-1948, sa licence et son diplôme d’études supérieures en philosophie en poche, il est nommé professeur en Algérie, dans une médersa, à Tlemcen. A son retour, il mène pendant près de deux ans une vie de bohème.
Puis, de janvier 1950 à octobre 1952, il part enseigner au lycée français et à l’Institut français de Mexico. Enfin, de novembre 1952 à juillet 1956, il est nommé à l’Institut français ainsi qu’à la Faculté des Lettres de Florence, où il enseigne l’Histoire, et en même temps prépare son agrégation de philosophie qu’il passe lors de son retour en France en juillet 1956. C’est pendant ces années à l’étranger qu’il apprend l’espagnol et l’italien.
Par la suite, il fait partie du cabinet du sous-secrétariat d’État aux Arts et Lettres, avant de prendre un poste d’enseignant en philosophie au lycée Faidherbe à Lille, de 1957 à 1959, puis au lycée Jean-Baptiste Say à Paris jusqu’en 1963.
Le 7 juillet 1967, il épouse en secondes noces la journaliste Claude Sarraute (née en 1927). De cette union sont nés le haut fonctionnaire Nicolas Revel en 1966 et Véronique Revel en 1968. Il quitte l’Université en 1963 pour se consacrer à une carrière de journaliste et d’écrivain.
[ALBIN-MICHEL.FR] Dans ce deuxième volet de la trilogie qu’il consacre à l’Homo faber, Richard Sennett se fait tour à tour historien, sociologue, philosophe ou anthropologue pour étudier cet atout social particulier qu’est la coopération, soit les liens entre les individus. « La coopération, nous dit-il, c’est agir avec quelqu’un qu’on ne connaît pas, avec lequel il y a des dissonances, des frictions, mais avec lequel on peut néanmoins faire des choses ; c’est un moyen d’interaction qui existe en dépit de la solidarité ; c’est multiplier des liens sociaux, plus informels et plus libres. » De la coordination des tâches dans l’atelier de l’imprimeur aux répétitions d’un orchestre, Richard Sennett nous fait découvrir de nombreuses expériences de communauté et d’actions collectives qui proposent une vision critique des sociétés capitalistes contemporaines et des pistes de réflexion pour en améliorer le fonctionnement. La richesse des références, l’originalité des points de vue, la liberté du style font d’Ensemble un livre singulier et engagé. Et si, pour aller mieux, il suffisait d’accepter que nous sommes dépendants les uns des autres ? Richard Sennett est une des figures les plus originales de la critique sociale aujourd’hui. On lira de lui aux Éditions Albin Michel, Le Travail sans qualité, Respect, La Culture du nouveau capitalisme, Ce que sait la main et Bâtir et Habiter.
SENNETT Richard, Ensemble. Pour une éthique de la coopération est paru chez Albin Michel en 2014 dans une traduction de Pierre-Emmanuel Dauzat (collection Espaces Libres Poche).
EN (US) > FR
EAN 9782226253705
384 pages
Disponible en grand format, ePub et poche.
Ce que nous en disons…
De nouvelles pespectives à explorer. Lecture un peu lourde mais gratifiante…
Le tribalisme associe solidarité avec ses semblables et agression contre ceux qui sont différents. C’est une pulsion naturelle, puisque la plupart des animaux sociaux sont tribaux ; ils chassent en meute, arpentent des territoires à défendre ; la tribu est nécessaire à leur survie. Dans les sociétés humaines, cependant, le tribalisme peut se révéler contre-productif. Les sociétés complexes comme la nôtre ont besoin de travailleurs qui passent les frontières, réunissent des ethnies, des races et des religions diverses, et engendrent des formes de vie familiale et sexuelles différentes. Imposer un seul et même moule culturel à toute cette complexité serait politiquement répressif et reviendrait à se raconter des mensonges. Le “soi” est un composé de sentiments, d’affiliations et de comportements qui s’ajustent rarement les uns aux autres ; tout appel à l’unité tribale réduira cette complexité personnelle.
Aristote fut peut-être le premier philosophe occidental à s’inquiéter de l’unité répressive. Il concevait la cité comme un ‘sunoi kismos’, un rassemblement de gens issus de diverses tribus familiales – chaque ‘oikos’ ayant son histoire, ses allégeances, ses biens et dieux familiaux. Pour les besoins du commerce et du soutien mutuel au cours de la guerre, ‘la cité est composée non seulement d’une pluralité d’individus, mais encore d’éléments spécifiquement distincts : une cité n’est pas formée de parties semblables’ ; la cité oblige donc les gens à penser aux autres et à traiter avec des personnes qui ont des loyautés différentes. De toute évidence, l’agression mutuelle ne saurait assurer la cohésion d’une ville, mais Aristote est plus subtil dans l’énoncé de son précepte. Le tribalisme, explique-t-il, suppose que l’on croie savoir à quoi ressemblent les autres sans les connaître ; faute d’expérience directe des autres, on se rabat sur de redoutables fantasmes. En version moderne, cela donne l’idée de stéréotype.
Et sur la conversation : sera-t-elle dialectique ou dialogique… ?
Il existe une analogie entre la répétition musicale et la conversation verbale, mais elle cache une énigme. La conversation entre musiciens consiste largement en mouvements de sourcils, grognements, coups d’œil et autres gestes non verbaux. Là encore, quand les musiciens veulent expliquer quelque chose, ils montrent plus souvent qu’ils ne disent : ils jouent tel ou tel passage, laissant les autres interpréter ce qu’ils font. J’aurais du mal à expliquer verbalement ce que j”entends quand je dis “peut-être plus espressivo”. Dans une conversation, au contraire, il nous faut trouver les mots.
La répétition musicale ressemble pourtant aux discussions où la capacité d’écoute des autres devient aussi importante que de savoir s’exprimer clairement. Le philosophe Bernard Williams fustige le “fétichisme de l’assertion”, l’inclinaison à enfoncer le clou comme si rien d’autre ne comptait. L’écoute ne figure pas en bonne place dans ce genre de joute verbale ; l’interlocuteur est censé admirer et acquiescer, ou contrer sur un ton tout aussi assertorique -le dialogue de sourds bien connu dans la plupart des débats politiques.
Et même si un orateur s’exprime maladroitement, le bon auditeur ne saurait s’appesantir sur cette insuffisance. Il doit répondre à l’intention, à la suggestion, pour que la conversation suive son cours.
Ecouter soigneusement engendre deux sortes de conversations : dialectique et dialogique. Dans la dialectique, ainsi qu’on l’apprend à l’école, le jeu verbal des opposés doit progressivement conduire à une synthèse ; la dialectique commence dans ce passage de la Politique où Aristote observe que, même si nous utilisons les mêmes mots, nous ne pouvons dire que nous parlons des mêmes choses ; l’objectif est d’arriver en fin de compte à une intelligence commune. Tout l’enjeu de la dialectique est de savoir détecter ce qui pourrait établir un terrain d’entente.
Dans un petit livre judicieux sur la conversation, Theodore Zeldin écrit à ce propos que le bon auditeur détecte le terrain d’entente davantage dans ce qu’une autre personne suppose que dans ce qu’elle dit. L’auditeur élabore ce qui est supposé en le verbalisant. On saisit l’intention, le contexte, on le rend explicite et on en parle. Une autre espèce de compétence apparaît dans les dialogues platoniciens, où Socrate se révèle excellent auditeur en reformulant “en d’autres mots” ce que déclarent les participants à la discussion -or, la reformulation n’est pas exactement ce qu’ils ont vraiment dit ni, en fait, voulu dire. L’écho est en réalité un déplacement. C’est pourquoi la dialectique dans les dialogues platoniciens ne ressemble pas à une discussion, à un duel verbal. L’antithèse d’une thèse n’est pas “Bougre de crétin, tu as tort”. Il y a inévitablement des malentendus et des désaccords, des doutes qui sont mis sur la table ; les interlocuteurs doivent alors s’écouter plus attentivement.
Il se passe quelque chose de voisin dans la répétition d’un morceau de musique quand un musicien observe : “Je ne pige pas ce que tu fais, c’est comme ça ?” La reformulation vous amène à réfléchir à nouveau au son et, le cas échéant, à procéder à un ajustement, sans copier pour autant ce que vous avez entendu. Dans la conversation quotidienne, c’est le sens de l’expression courante “lancer une idée” ; où ces balles verbales peuvent tomber peut être une surprise pour tout le monde.
Le mot “dialogique” est une invention du critique littéraire russe Mikhaïl Bakhtine pour désigner une discussion qui n’aboutit pas à la découverte d’un terrain d’entente. Bien qu’on ne puisse trouver d’accords partagés, l’échange peut permettre aux gens de prendre conscience de leurs vues et d’approfondir leur compréhension mutuelle. “Professeur, votre note supérieure sonne dur” inaugura un échange dialogique dans la répétition de l’Octuor de Schubert. Bakhtine appliqua le concept d’échange tricoté mais divergent à des auteurs comme Rabelais et Cervantes, dont les dialogues sont l’exact contraire de l’accord convergent de la dialectique. Les personnages de Rabelais partent dans des directions apparemment hors sujet que les autres saisissent au passage ; dès lors, la conversation s’épaissit, les personnages s’éperonnant mutuellement. Il arrive que les grandes interprétations de musique de chambre rendent quelque chose de proche. Les musiciens n’ont pas l’air tout a fait sur la même page, le morceau joué a plus de texture, plus de complexité, mais les instrumentistes s’incitent mutuellement : c’est aussi vrai en musique classique que dans le jazz.
Bien entendu, la différence entre dialectique et conversation dialogique n’est pas du type ou bien / ou bien. Comme dans la version de la conversation dialectique chère à Zeldin, le mouvement en avant de la conversation dialogique vient de ce que l’on prête attention à ce qu’une autre personne laisse entendre mais ne dit pas ; comme dans l’astucieux “en d’autres termes” de Socrate, dans une conversation dialogique les malentendus peuvent en fin de compte éclairer la compréhension mutuelle. Au cœur de toutes les compétences d’écoute, il y a la saisie de détails concrets, de spécificités, pour que la conversation aille de l’avant.
Ceux qui écoutent mal se rabattent sur des généralités quand ils répondent ; ils ne prêtent pas attention à ces petites phrases, aux mimiques ou aux silences qui ouvrent une discussion. Dans la conversation verbale, comme dans la répétition d’un morceau de musique, l’échange commence à la base, il est d’essence.
Les anthropologues et sociologues sans expérience doivent relever un défi particulier quand ils mènent les discussions. Ils sont parfois trop prompts à réagir, à aller où leurs sujets les conduisent ; ils ne discutent pas, ils veulent montrer qu’ils sont réactifs, sensibles. Se cache ici un problème de taille. Un excès d’identification avec l’autre est de nature à ruiner une conversation dialogique.
Sennett évoque souvent ce qu’il appelle le “triangle social” fondement de la coopération :
Ce sont les trois éléments sur lesquels repose historiquement une coopération réussie dans la société et, en particulier, dans le monde du travail. Il s’agit, en premier lieu, du respect mutuel entre des figures d’autorité honnêtes et des subordonnés fiables. Ensuite, du soutien entre les salariés, notamment lorsque l’un d’entre eux pouvait traverser une passe difficile, un divorce par exemple. Enfin, il y a la capacité de tous à se mobiliser pour le collectif en cas de crise. Or ce triangle a tendance à s’éroder…
L’auteur…
SENNETT, Richard (né en 1943) est sociologue et professeur à la prestigieuse London School of Economics et à la New York University. Ses essais l’ont imposé en Europe comme une des figures les plus originales de la critique sociale aujourd’hui (Prix international de sociologie « Amalfi » [1999], Prix Hegel [2007], Prix Spinoza [2010], Prix européen de l’essai décerné par la Fondation Charles Veillon [2016] et Prix Bruno Kreisky [2018]). Il a publié chez Albin Michel : Le Travail sans qualités (2000), Respect (2003), La Culture du nouveau capitalisme (2006), Ce que sait la main (2010), et Ensemble (2014).
[LABOR] Dix ans, Cent titres. C’est ce que fête la collection Espace Nord avec le présent volume. L’objectif de cette collection était et continue à être de restituer au public du cap le plus septentrional de la francophonie sa littérature. De la restituer dans sa modernité, son urgence et son actualité. La présente anthologie – qui met 101 auteurs à l’honneur (Charles De Coster, Georges Eekhoud, Emile Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Henri Michaux, Alexis Curvers, Marie Gevers, Henry Bauchau, Dominique Rolin etc.) – est sa carte de visite : elle montre comment une littérature toujours en formation et qui a eu ses timidités à illustré des sensibilités et fait valoir des univers que l’on a peu trouvés ailleurs. Les anthologies sont des outils à lire et à faire lire. Elles tracent des pistes, offrent des points de repère : tel fragment de grand roman, tel poème isolé, telle ligne provocante, tel moment suggestif. Ces pistes et ces repères ne veulent rien d’autre qu’éveiller le désir des textes complets. Mais elles ouvrent aussi à des échappées, à des voies de traverse. Sœurs en cela des dictionnaires, d’où l’on sort en ayant trouvé un trésor différent de celui qu’on cherchait, les anthologies participent d’une aventure. C’est à cette aventure qu’espace Nord convie aujourd’hui ses lecteurs.
EAN 9782507002374
KLINKENBERG Jean-Marie, Espace Nord : L’anthologie est paru chez Labor en 1999 et a été réédité chez Luc Pire en 2009. L’ouvrage est aujourd’hui épuisé mais fréquemment disponible en bouquinerie.
FR
EAN 9782507002374
479 pages
Epuisé (en date du 1 janvier 2025)
Ce que nous en disons…
Indispensable (cela vaut la peine de fouiller les bacs des bouquinistes…).
Jean-Marie Klinkenberg, né le 8 octobre 1944 à Verviers, est un linguiste et sémioticien belge. Professeur à l’université de Liège, il y a enseigné les sciences du langage, et spécialement la sémiotique et la rhétorique, mais aussi les cultures francophones. Il a développé une partie de ses travaux rhétoriques et sémiotiques au sein du Groupe µ.
[ULIEGE.BE] Les recherches de J.-M. Klinkenberg se sont orientées dans deux directions. Celle de la linguistique et de la sémiotique d’une part, celle des cultures francophones d’autre part. Dans la première orientation, il a fait sa marque en rénovant la rhétorique, dès la fin des années 1960, au sein de l’équipe interdisciplinaire mondialement connue sous le nom de Groupe µ, auteur collectif de Rhétorique générale (1970 ; un classique des sciences humaines, traduit en une vingtaine de langues et maintes fois réédité), de Rhétorique de la poésie (1977) et d’autres ouvrages.
Dans la seconde orientation, il a renouvelé l’approche des lettres belges, en envisageant celles-ci dans une optique sociale et institutionnelle, aisément transposable aux autres cultures francophones qu’il a étudiées, comme la québécoise. Il a contribué à dynamiser la recherche dans ces secteurs : il a ainsi été douze année durant président du plus ancien Centre d’Études Québécoises d’Europe, a créé à Liège le Centre d’études de la littérature belge et le Laboratoire des francophonies, et a contribué à fonder l’Association internationale des études québécoises. […] Jean-Marie Klinkenberg est aussi un intellectuel soucieux de mettre son savoir à la disposition de la société : consultant auprès de maisons d’édition (comme Larousse), il a aussi exercé diverses fonctions publiques. Il est par exemple actuellement président du Conseil de la langue française et de la politique linguistique de Belgique, charge qu’on lui a confiée à trois reprises. Il a également effectué de nombreuses missions d’expertise et de consultance. […] Il est depuis 1996 Membre de l’Académie Royale de Belgique.
[LIBREL.BE] Sous une forme vivante, enlevée, très personnelle, Les Découvreurs raconte la plus grande épopée de l’homme : celle de sa quête pour découvrir le monde qui l’entoure. Daniel Boorstin s’écarte volontairement de la traditionnelle et fastidieuse énumération des batailles, des naissances d’empires et des grands règnes : avec lui, l’histoire de notre monde devient une féerie de découvertes et de commencements. En chaque découverte d’importance, que ce soit celle de l’Amérique par Christophe Colomb ou celle de la relativité par Einstein, il voit un épisode d’une biographie. Les héros de la saga qu’il nous raconte sont des hommes dotés d’une insatiable frénésie de connaissance et d’un courage exemplaire pour affronter l’inconnu. Daniel Boorstin nous fait découvrir sous un jour nouveau des noms familiers : Hérodote, Ptolémée, Marco Polo, Copernic, Newton, Marx, Freud, et ressuscite également quelques figures remarquables oubliées de l’histoire. Pour quelles raisons les Chinois n’ont-ils pas découvert l’Amérique ? Pourquoi les peuples ont-ils mis si longtemps à apprendre que la terre tourne autour du soleil ? Comment a débuté l’étude des sciences économiques ? Quand et pourquoi les peuples ont-ils commencé à fouiller la terre pour connaître le passé ? Telles sont quelques-unes des fascinantes questions auxquelles répond ce livre. L’histoire qu’il nous raconte est sans fin. Car, pour les découvreurs, « le monde entier est encore une Amérique. Et les mots terra incognita sont bien les plus prometteurs que l’on ait jamais écrits sur les cartes de la connaissance humaine. »
BOORSTIN Daniel J., Les découvreurs est paru chez Robert Laffont en 1988, dans une traduction de Jérôme Bodin.
EN (US) > FR
EAN 9782221055878
368 pages
Disponible en grand format (Bouquins).
L’auteur…
[LISEZ.COM] Daniel Joseph Boorstin (1914-2004), diplômé en droit des universités de Harvard, Oxford et de Yale, a été bibliothécaire de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis de 1975 à 1987. Il a enseigné à Harvard, Chicago, Rome, Kyoto, Cambridge et à la Sorbonne. Ses ouvrages ont reçu de nombreuses distinctions, dont le prix Pulitzer. Dans la collection « Bouquins » ont été publiés deux de ses plus brillants essais : Les Découvreurs, en 1988, et Histoire des Américains, en 1991, ainsi que Les Créateurs en 2014.
[LIBREL.BE] La fille du sculpteur raconte une enfance vécue comme un rêve, inspirée de celle de Tove Jansson, au début du xxe siècle, entre Helsinki et la maison familiale sur une île de l’archipel de Porvoo, où ses parents artistes se retiraient pour l’été. Dans ce livre éminemment onirique, les êtres humains se mettent soudainement à voler, des créatures imaginaires et mystérieuses apparaissent au détour de certaines criques, et Dieu le père lui-même surveille les enfants qui jouent dans le jardin. La fille du sculpteur, traduit intégralement en français pour la première fois, est une superbe réussite d’intelligence et de poésie. Le monde entier y est à couper le souffle.
Les sculptures de papa se déplaçaient doucement autour de nous dans la lumière du feu, ses tristes femmes blanches qui faisaient un pas indécis en avant, toutes prêtes à s’enfuir. Elles savaient le danger qui rôdait partout, mais rien ne pouvait les sauver tant qu’elles n’avaient pas été sculptées dans le marbre et placées dans un musée. Là, on est en sécurité. Dans un musée ou dans les bras ou dans un arbre. Éventuellement, sous la couverture. Mais le mieux est de s’asseoir très haut dans un grand arbre, si on ne se trouve plus dans le ventre de sa maman.
JANSSON Tove, La fille du sculpteur est paru chez La Peuplade en 2021, dans une traduction de Catherine RENAUD.
SV > FR
EAN 9782924898864
176 pages
Disponible en ePub et poche.
Ce que nous en disons…
J’aime à penser qu’il y a des pays, beaucoup plus au Nord, où l’hiver est long et paisible, où le soleil brille au travers les fenêtres givrées, dans les cuisines qui embaument le cinq-quart à la cuisson, dans un four d’émail blanc, près des chiens robustes qui baillent sous la table. J’aime les livres qui racontent les découvertes et les cruautés des enfants nourris de Fifi Brindacier, les nouvelles ou les romans éclairés de printemps qui évoquent les craquements du dégel ou la maraude de fin d’été. J’aime que leur auteur mise sur le regard fantasque d’une petite fille espiègle, qui raconte le monde comme dans un rêve, où l’adultère et la gueule de bois des grands côtoient les collections de galets et les nœuds dans les cheveux des enfants, dans le même souffle, dans la même fête de poésie sauvage et onirique. J’aime à penser qu’il s’agit là d’un témoignage récent, d’une autobiographie d’aujourd’hui ou de la généreuse prédiction d’une vieille dame qui lit dans les étoiles…
JANSSON Tove, Autoportrait (1937) @ DR
Après avoir goûté les premières nouvelles de La Fille du sculpteur de la finlandaise Tove JANSSON (étrangement baptisé “roman” alors qu’il contient un recueil de nouvelles, racontées par une même jeune narratrice), je souhaitais tant que ce livre formidable soit au présent. Alors, j’ai plongé sur le colophon et, partant, plongé dans la douce dépression que l’on ressent devant, par exemple, les illustrations de Carl LARSSON (1853-1919, cfr. illustration d’en-tête), quand la joie de se projeter dans ces charmants paradis perdus de l’enfance et de la fraîcheur se mue en une tendre nostalgie. On en redemande, on tourne les pages de l’album puis on lève les yeux. Ah, si seulement… Mais, hélas, La Fille du sculpteur date déjà de 1968 !
L’élégante et espiègle traduction de Catherine Renaud, au départ du suédois, n’est quant à elle parue qu’en 2021, aux Editions La Peuplade (Québec), qui précisent : “Auteure, peintre, illustratrice, féministe, connue dans le monde entier pour ses célèbres Moumines et son roman Le livre d’un été, Tove Jansson (1914-2001) est à l’origine d’une œuvre littéraire exceptionnelle. Elle est l’une des grandes créatrices du XXe siècle.“
Et la quatrième de couverture offre un avant-goût du petit voyage : “La fille du sculpteur raconte une enfance vécue comme un rêve, inspirée de celle de Tove Jansson, au début du xxe siècle, entre Helsinki et la maison familiale sur une île de l’archipel de Porvoo, où ses parents artistes se retiraient pour l’été. Dans ce livre éminemment onirique, les êtres humains se mettent soudainement à voler, des créatures imaginaires et mystérieuses apparaissent au détour de certaines criques, et Dieu le père lui-même surveille les enfants qui jouent dans le jardin.“
Emmanuel Requette, libraire à Bruxelles, explique également : “L’art de Tove Jansson est tout entier contenu dans cette tension qu’elle parvient comme peu à rendre palpable entre le pouvoir de l’enfant et le regard de l’adulte“. Bref, ce livre est un régal d’innocence feinte, à mi-chemin entre l’odeur du pain d’épices volé et la fraîcheur de l’eau, au cœur d’un verger.
C’était tellement agréable de regarder Anna !
Les cheveux d’Anna poussaient comme de l’herbe drue et succulente, ils pendaient, coupés un peu n’importe comment, et étaient si vivants qu’ils faisaient des étincelles. Tout aussi épais et noirs, ses sourcils se rejoignaient presque au milieu, son nez était plat, et ses joues, très rouges. Ses bras plongeaient comme des piliers dans l’eau de vaisselle. Elle était belle.
Quand Anna chante en faisant la vaisselle, je m’assieds sous la table de la cuisine pour essayer d’apprendre les paroles. C’est au treizième couplet de Hjalmar et Hulda qu’il commence enfin à se passer quelque chose.
Hjalmar entre, en habit de guerrier étincelant, et les harpes se taisent prestement. Courroucé, il se dirige vers son infidèle fiancée pour s’emparer de sa couronne de mariée. Il arrache l’objet sombre de ses cheveux clairs. Pâle, comme gisant déjà sur la civière mortuaire, horrifiée, Hulda, la poitrine tremblante d’effarement fait face au bras vengeur de son amant.
On frissonne, c’est beau. Comme Anna quand elle dit : “Sors un moment, il faut que je pleure maintenant, c’est tellement beau.”
Les amants d’Anna arrivaient souvent en habits de guerrier. J’aimais particulièrement le dragon dans son pantalon rouge et son manteau à tresses en passementerie dorée, il était superbe. Il retirait toujours son sabre, qui tombait parfois par terre dans un bruit qui parvenait jusqu’à mon lit-étagère sous le plafond, et je pensais à son bras vengeur. Puis il a disparu, et Anna a eu un nouvel amant, un Homme Pensant. C’est pour cette raison qu’elle assistait à des conférences sur Platon et qu’elle méprisait papa, qui lisait les journaux, et maman, qui lisait des romans.
J’ai expliqué à Anna que maman n’avait pas le temps de lire d’autres livres que ceux qu’elle illustrait : elle devait savoir de quoi le livre parlait et à quoi ressemblait l’héroïne pour dessiner la couverture. Certains se contentent de dessiner ce qu’ils ressentent et méprisent l’auteur. Et il ne faut pas. Un illustrateur doit penser à la fois à l’auteur, au lecteur et parfois même à l’éditeur.
– Ah ! a dit Anna. Des éditeurs de pacotille qui ne publient pas Platon. D’ailleurs, Madame reçoit gratuitement tous les livres qu’elle illustre et, sur le dernier livre, l’héroïne n’avait même pas les cheveux blonds alors qu’ils l’étaient dans l’histoire.
– Mais la couleur coûte cher! ai-je rétorqué en m’énervant. Et en plus, elle doit s’acquitter de la moitié du prix de certains livres !
C’était totalement impossible d’expliquer à Anna que les éditeurs n’aiment pas les impressions multicolores et qu’ils se plaignent des impressions bicolores, même s’ils savent qu’au moins une couleur doit être noire et qu’il est possible de dessiner des cheveux sans jaune pour qu’ils paraissent blonds.
– Ah, vraiment ! a dit Anna. Et quel est le rapport avec Platon, si je peux me permettre ?
Alors je perdais le fil de ce à quoi j’avais pensé depuis le début. Anna mélangeait les choses et finissait toujours par avoir raison. Mais parfois, j’aimais la pousser à bout. Je la laissais parler et parler de son enfance, jusqu’à ce qu’elle pleure, et je me postais à la fenêtre, me balançant sur mes talons et regardant en bas dans la cour. Ou alors je ne lui demandais rien, même si elle avait le visage gonflé et qu’elle jetait la pelle à poussière à travers la cuisine. Je pouvais pousser Anna à bout en étant polie avec ses amants, en leur posant sans cesse des questions sur ce qui les intéressait sans jamais partir. Et un autre très bon moyen était de déclarer d’une voix forte et traînante : “Madame veut du steak de veau pour dimanche”, avant de sortir aussitôt comme si Anna et moi n’avions rien d’autre à nous dire.
Anna s’est longtemps vengée à l’aide de Platon. Puis un jour, elle a eu pour amant un Homme du Peuple et elle s’est vengée en évoquant toutes ces vieilles livreuses de journaux qui se levaient à quatre heures alors que ces messieurs dormaient et se prélassaient au lit en attendant leur édition du matin. J’ai rétorqué qu’aucune vieille livreuse de journaux sur terre ne travaillait toute la nuit quand il fallait fabriquer un moule en plâtre pour un concours et que maman travaillait jusqu’à deux heures chaque nuit pendant qu’Anna dormait et se prélassait au lit, et alors Anna a dit de ne pas l’entraîner sur ce terrain et, du reste, Monsieur n’a reçu aucun prix la dernière fois ! Alors j’ai crié que c’était parce que le jury était injuste et elle a crié que c’était facile à dire, et moi, qu’elle ne comprenait rien parce qu’elle n’était pas artiste et elle que c’était facile d’être supérieure alors qu’on n’a même pas suivi de cours de dessin, et alors nous ne nous sommes plus parlé pendant plusieurs heures.
Quand nous avions toutes les deux fini de pleurer, je retournais dans la cuisine, où Anna avait accroché la couverture au-dessus de la table. Je pouvais alors construire ma cabane dessous si je ne me mettais pas dans ses jambes ni devant la porte du garde-manger. Je la construisais avec les chaises, les bûches et le tabouret. En fait, je le faisais par politesse, parce qu’on pouvait construire de bien meilleures cabanes sous la grande selle de sculpteur.
Une fois la cabane achevée, elle me donnait un peu de vaisselle. Je la prenais uniquement par politesse. Je n’aime pas faire semblant de cuisiner. Je déteste manger.
Une fois, il n’y avait pas de merisier à grappes sur le marché pour le premier juin. Maman doit avoir des fleurs de merisier à grappes pour son anniversaire, sinon elle meurt. C’est ce que lui avait dit une gitane quand maman avait quinze ans et, depuis, tout le monde se donnait beaucoup de mal pour lui trouver des merisiers. Parfois, ils fleurissent trop tôt et parfois, trop tard. Si on les cueille à la mi-mai, les feuilles bruniront sur les bords et les fleurs ne s’ouvriront jamais.
Mais Anna a dit :
– Je sais qu’il y a un merisier à grappes blanc dans le parc. Nous irons en cueillir quand il fera nuit.
Il faisait nuit assez tard, mais j’ai quand même eu le droit d’aller avec elle et nous n’avons pas dit un mot sur nos intentions. Anna m’a prise par la main, ses mains chaudes étaient toujours humides et, quand elle bougeait, elle dégageait un parfum brûlant et un peu effrayant. Nous avons descendu la Lotsgatan, traversé en direction du parc, et j’étais complètement pétrifiée de terreur, je pensais au gardien du parc, au conseil municipal et à Dieu.
– Papa ne ferait jamais une chose pareille, ai-je dit.
– Non, parce que Monsieur est bien trop bourgeois, a répondu Anna. On prend ce dont on a besoin, c’est comme ça.
Nous avions escaladé la clôture avant que je comprenne la chose incroyable qu’elle venait de dire, que papa était bourgeois. J’étais tellement stupéfaite que je n’ai pas eu le temps d’être offensée.
Anna s’est directement approchée du buisson blanc au milieu de la pelouse et a commencé à cueillir des fleurs.
– Tu cueilles mal ! lui ai-je sifflé. Fais-le correctement !
Anna était plantée dans l’herbe, les jambes écartées, et elle me regardait. Sa grande bouche s’est ouverte en un large sourire, découvrant ses belles dents, elle m’a prise par la main, s’est accroupie, et nous avons couru en nous faufilant sous les arbustes. Nous nous sommes dirigées vers un autre buisson blanc, et Anna regardait tout le temps par-dessus son épaule et s’arrêtait parfois derrière un arbre.
– Est-ce que c’est mieux comme ça ? a-t-elle demandé.
J’ai hoché la tête et serré sa main. Puis elle s’est mise à cueillir les fleurs. Elle tendait ses grands bras et sa robe la serrait de partout. Elle riait, cassait des branches, et les fleurs tombaient sur son visage. Je murmurais “arrête, arrête, ça suffit”, tellement terrifiée que j’ai failli faire dans mon pantalon.
– Tant qu’à voler, autant le faire correctement, a dit Anna calmement.
Elle avait les bras remplis de fleurs de merisier, qui lui couvraient le cou et les épaules et elle les tenait toujours fermement de ses grandes mains rouges. Nous avons de nouveau escaladé la clôture pour rentrer à la maison, et aucun gardien de parc ni aucun policier n’a jamais surgi.
Après, ils nous ont dit que nous avions cueilli les fleurs d’un buisson qui n’était pas un merisier à grappes. Elles étaient juste blanches. Mais maman s’en est quand même sortie et elle n’est pas morte.
Parfois, Anna se fâchait et criait :
– Je ne supporte plus de te voir! Va-t’en !
Alors je descendais dans la cour et je m’asseyais sur la poubelle où je brûlais des rouleaux de pellicules avec une loupe.
J’aime les odeurs. Celle des pellicules qui brûlent, de la chaleur, d’Anna, de la caisse d’argile, des cheveux de maman, l’odeur des fêtes et du merisier en grappes. Je n’ai moi-même pas encore d’odeur, du moins je ne crois pas.
En été, Anna avait une odeur différente, elle sentait l’herbe et dégageait un parfum encore plus brûlant. Elle riait plus souvent et on découvrait davantage ses grands bras et ses jambes.
Anna savait vraiment ramer. Elle donnait un seul coup et se reposait triomphalement sur les rames pendant que le bateau glissait sur le détroit en faisant jaillir des éclaboussures dans l’eau brillante du soir. Puis elle donnait un autre coup de rame, d’autres éclaboussures jaillissaient, et elle montrait combien elle était forte. Elle éclatait alors de rire, plongeait une des rames pour faire tourner le bateau et montrer qu’elle n’avait envie d’aller nulle part et se contentait de jouer. Finalement, elle laissait le bateau dériver, s’allongeait au fond pour chanter et, depuis le rivage, tout le monde l’entendait dans le soleil couchant et savait qu’Anna était allongée là, grande, heureuse, brûlante et se moquant de tout. Elle faisait ce qu’elle voulait.
Puis elle montait sur la colline, son corps se balançant lentement, cueillait parfois une fleur. Anna chantait aussi quand elle faisait du pain. Elle pétrissait la pâte, la battait, la tapotait et façonnait des petites boules qu’elle jetait dans le four exactement comme il fallait. Elle refermait la porte, s’étirait et s’exclamait :
– Houla ! Ça brûle !
J’aime Anna l’été et je ne cherche jamais à la pousser à bout.
Parfois, nous allions dans la vallée des diamants. C’est une plage où tous les galets sont ronds et précieux. Ils ont une très jolie couleur. Ils sont beaux sous l’eau, mais quand on les frotte avec de la margarine, ils restent toujours beaux. Nous y allions quand maman et papa travaillaient en ville et, après avoir ramassé beaucoup de diamants, nous nous asseyions près du ruisseau qui descendait de la montagne. Il ne coulait qu’à la fin du printemps et à l’automne. Nous construisions des cascades et des barrages.
– Il y a de l’or dans le ruisseau, a dit Anna. Cherche-le.
Je n’ai jamais vu d’or.
– Il faut le mettre toi-même, a dit Anna. L’or est magnifique dans l’eau brune. Et il prolifère. De plus en plus d’or.
Alors je suis rentrée à la maison et j’ai récupéré tout l’or que nous possédions ainsi que les perles. J’ai tout mis dans le ruisseau et c’est devenu incroyablement beau.
Anna et moi étions allongées à écouter le ruisseau, et elle chantait La Fiancée au Lion. Elle est entrée dans l’eau, a attrapé le bracelet en or de maman avec ses orteils, l’a relâché en éclatant de rire.
– J’ai toujours eu envie d’or véritable.
Le jour suivant, tout l’or avait disparu et les perles aussi. J’ai trouvé ça étrange.
– On ne sait jamais avec les ruisseaux, a dit Anna. Parfois, l’or prolifère et parfois il va droit dans la terre. Mais il peut ressortir, si on n’en parle jamais.
Puis nous sommes rentrées à la maison et nous avons fait des crêpes.
Le soir, Anna a retrouvé son nouvel amant près de la balançoire du village. C’était un Homme d’Action et il pouvait pousser la balançoire si fort qu’elle faisait des tours complets, et la seule qui osait rester assise au quatrième tour était Anna.
L’auteure…
Qui es-tu Tove Jansson, mère des Moumines et icône finlandaise ?
[d’après LINSTANTNORDIQUE.COM] Dans les mémoires collectives, Tove Jansson n’est personne d’autre que la créatrice incontournable des Moomins. À l’instar de l’orthographe changeante des petits trolls – Muumin, Moomin, Moumine -, cette icône de la culture finlandaise a mené une multitude de vies.
Tantôt romancière, tantôt sculptrice ou peintre, Tove Jansson était une femme accomplie, fière et guidée par des valeurs avant-gardistes qui se retrouvent dans toutes les œuvres de sa carrière. Dans les aventures de Moomintroll évidemment, mais également dans ses choix de vie ; première personnalité féminine ouvertement homosexuelle, propriétaire d’une île déserte, irrévérencieuse envers les idéologies conservatrices et surtout esprit libre et insaisissable.
L’enfance bohème de Tove Jansson
Née en 1914 à Helsinki, Tove Jansson est la première enfant du couple Jansson-Hammarsten, un duo d’artistes suédophone en quête de reconnaissance à Helsinki. En analysant a posteriori sa carrière, il est frappant de constater à quel point Tove Jansson représente le fruit de l’union de ses parents. Sa mère, Signe Hammarsten, est illustratrice renommée et son père, Viktor Jansson, sculpteur et lecteur passionné. En compagnie de ses deux jeunes frères, la petite famille ouverte d’esprit et bohème détonne au moment où la Finlande se déchire en 1918. Une guerre civile éclate, ce qui n’empêchera pas le couple de nourrir leurs progénitures de contes et de fables.
Au début des années 1920 déjà, son père est convaincu qu’ils ont transmis la fibre artiste à leur fille. Il rédige même une lettre à sa femme pour lui faire part de son intuition. Pas encore adolescente, Tove Jansson commence par épauler sa mère pour la soulager des commandes qui affluent. « La maison et l’atelier ne faisaient qu’un […] sans distinction claire entre le travail et la vie de famille » … Un schéma familial intense qui l’accompagnera tout au long de sa vie, à cheval entre sessions de travail interminables et moments de contemplations infinis.
Le Paris de la Belle Époque l’intrigue, elle qui a davantage voyagé dans ses pensées que dans la réalité. Elle part étudier à l’École des Beaux-Arts, mais se heurte au conformisme culturel. Déçue et indignée par son expérience, elle trouve refuge chez une artiste suisse basée dans la capitale française, reconnue pour son approche radicale de la peinture et du dessin. Tove Jansson n’aura eu de cesse d’afficher des marques de reconnaissance auprès de sa famille. En témoigne le projet qu’elle considérait comme l’œuvre la plus aboutie de sa jeunesse : le portrait réaliste des Jansson au grand complet, en format large et peint à l’huile. L’accueil de son tableau fut moins honorable qu’elle l’eu espéré, les critiques se concentrant davantage sur la technique que sur l’originalité de l’œuvre. Touchée, l’artiste en construction délaisse la peinture pour l’illustration. À tout juste 30 ans, elle ne sait pas encore, mais elle s’apprête à se lancer dans le chef d’œuvre de sa vie : les Moomins.
Tove Jansson, la mère des Moomins
Si la France ne lui a pas laissé sa chance, elle aura au moins eu le mérite d’être à l’origine du projet onirique de Tove Jansson : la création d’un univers fantaisiste pour enfant, les Moumines (« Moomin » en version finlandaise). La Seconde guerre mondiale achevée, Tove Jansson ressent le besoin de partager des moments d’évasion à ses compatriotes. Elle publie alors le premier épisode des Moomins en 1945 pour rendre hommage à la culture et au folklore finlandais.
Dans une lettre adressée à un ami, Tove Jansson met des mots sur cette envie de légèreté. De ce projet, elle espère faire rejaillir la part d’humanité de chacun d’entre nous et nous rappeler que le monde et la vie ont d’abord été construits grâce à l’amour et la générosité. Tove Jansson écrit alors : « Lorsque je me suis senti déprimée et que j’ai voulu m’éloigner de mes sombres pensées pour me tourner vers autre chose… [ndlr : son échec à Paris et la guerre] … je me suis glissée dans un monde incroyable où tout était naturel et sans gravité. Et surtout où tout était possible. »
À l’instar des Barbapapa, les Moomins sont une famille de personnages dessinés habitant dans le verdoyant univers de Moominvalley. Attachées à leur environnement paisible, les Moumines n’hésitent pas à sortir de leur zone de confort pour explorer des contrées lointaines, à leurs risques et périls. Des épisodes teintés de moral et d’humour qui offrent généralement un double niveau de lecture – pour les petits et pour les grands.
En une décennie, les aventures de Moomintroll traversent les frontières finlandaises et suédoises. Le London Evening News achète les droits d’illustration de Tove Jansson. La peintre désavouée par les critiques prend sa revanche en publiant tous les soirs ses comics strips dans le grand journal britannique du soir de l’époque. Durant 15 ans, les lecteurs s’attacheront à ses dessins d’illustration. Le succès est tel que les Muumins sont adaptés à la télévision, au cinéma, au théâtre et même à l’opéra ! La frénésie populaire du départ s’empare de toutes les couches de la société anglaise et occidentale. 10 millions de livres sont vendus, faisant des Moomins l’un des premiers marqueurs générationnels mondial ! Au Japon, les Muumins sont ainsi de véritables icônes de la culture populaire et les produits dérivés se vendent comme des petits pains. Moins réputée en France, Tove Jansson a cependant reçu le Prix du Patrimoine au festival d’Angoulême il y a quelques années. […] En véritable ambassadrice de son univers des Moumines, Tove Jansson aime à prendre les apparences tantôt de Moomintroll ou Moominmamma. À travers ses personnages fictifs, elle trouve le moyen subtil de délivrer des messages, parfois politiques, souvent pertinents, dans le but de faire évoluer les mentalités sur des questions sociétales aussi importantes que celle de la place de l’amour, de la solidarité, de l’esprit de l’effort collectif ou de la transmission intergénérationnelle.
Sa notoriété se matérialise jusque dans les hautes sphères de Stockholm, où les hommes d’affaires eurent un temps le – mauvais – goût de porter des cravates à l’effigie des Moomins. À aucun moment cependant, l’artiste finlandaise n’a souhaité renier ses valeurs. En atteste par exemple sa perception du devoir de célébrité, relaté dans une de ses correspondances. Alors que son frère chéri Lars – à qui elle donnait l’affectueux nom de Lasse – avait envoyé des poèmes à Dorothy Parker, la scénariste américaine n’a jamais daigner lui répondre.
L’île déserte, son amour pour toujours
L’histoire des Moumines et de l’œuvre artistique de Tove Jansson est intimement liée à celle de Klovharu, une île finlandaise située dans l’archipel de Pellinki. Un havre de paix posé au milieu de la Baltique et une source d’inspiration intarissable pour cette artiste libre et audacieuse. Dès sa plus tendre enfance, elle s’imaginait gambader au milieu d’une nature luxuriante, sans danger et en harmonie avec les éléments. En grandissant, la fille d’Helsinki souhaitait à tous ceux qu’elle aimait de posséder une île sans adresse. Ce sera finalement à quelques encablures du village de Söderby qu’elle trouvera son paradis. Un peu plus rocailleux que celui de ses rêves, Tove Jansson y passera tous ses étés jusqu’à sa mort à 86 ans.
Helsinkienne d’origine, elle met du temps à se conformer à la société finlandaise. Plus à l’aise en suédois qu’en finnois, elle rédige la majorité de ses écrits en suédois. Tove Jansson fait partie des « finlandssvenska », cette minorité finlandaise suédophone généralement issue de la bourgeoisie. Les valeurs sont d’ailleurs plus proches des pays occidentaux, ce qui lui permettra de faire les rencontres bienvenues dans sa quête de renommée. Lorsqu’elle ne réside pas dans le quartier Art Nouveau d’Helsinki, Klovharu fait office d’échappatoire nécessaire en fuyant les cercles aristocratiques de la capitale finlandaise. À Söderby, tout le monde parle suédois et laisse Tove Jansson parcourir cette île envoûtante. Dans la série des Moumines, Tove la dessinatrice ajoute de nombreux éléments tirés de ses séjours dans l’archipel. Une vie en autarcie qu’elle chérissait sans retenue avec sa compagne Tuulikki Pietilä.
Une carrière couronnée de succès mais éprouvante pour celle qui est considérée comme l’une des figures les plus importantes de la littérature finlandaise de l’Histoire. Une Moominmamma adorée au pays des mille lacs sur laquelle sont braqués tous les projecteurs. Elle reconnaît en 1963 la difficulté de trouver un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle qu’impose son rôle d’ambassadrice : « J’ai été réveillée par une autre équipe de télévision qui voulait un commentaire sur la situation culturelle du moment. J’ai encore des masses à régler avec la famille et les cousins, les représentants de la culture des enfants, les traducteurs et les galeries d’art. . . . J’ai l’impression d’être un peu arrogante, mais je fais tout mon possible pour maintenir mon image : une enfant de la nature, douce, cultivée, en perpétuel émerveillement. » On comprend mieux son attachement viscéral à son île isolée qui signe un retour à une vie plus ordinaire.
Plus tard, Tove Jansson exprimera davantage son malaise à travers des lettres de correspondance. Elle aura à cœur de toujours commencer ses rédactions par une note positive cependant. Au fur et à mesure, son image de personnage public deviendra plus confidentielle. Seules quelques proches continueront de recevoir des nouvelles de Tove Jansson, souvent sous forme de lettre ouverte, déversoir de ses humeurs autant que de sa vie intérieure. Cet esprit ouvert et libre originel laissera place à un travail artistique plus complexe qui s’exprimera dans ses œuvres textiles, ses peintures et ses romans pour adultes. Signe d’un besoin de solitude, son atelier d’Helsinki autrefois vivant connaîtra plusieurs périodes de fermetures, comme si elle souhaitait mettre la clé sous la porte aux intrusions indésirables de sa vie romantique.
Écrivaine, plasticienne, peintre : une artiste complète
La majorité d’entre nous connaît Tove Jansson l’illustratrice audacieuse. Mais la créatrice des petits hippopotames blancs, les Moumines, s’adonnait encore davantage aux autres arts. Romancière, plasticienne, sculptrice : elle passait un temps incalculable penchée sur ses plans de travail, tantôt dans son atelier, tantôt chez des amis artistes ou sur son île déserte. En réalité, sa vraie passion fut la peinture. Durant toute sa carrière, ses talents de peintre hors du commun lui ont rapporté bien plus que ses succès littéraires. Elle peut s’enorgueillir d’avoir réalisé une multitude de peintures murales pour des bâtiments officiels ou des sièges sociaux à Helsinki et partout en Finlande. Un gagne-pain bienvenu et nécessaire pour s’offrir le matériel coûteux qu’elle devait se procurer pour ses autres hobbies artistiques.
Cette vie multiple, elle n’aurait pu la mener sans un atelier à sa disposition. Le désormais célèbre Ullanlinnankatu 1 au cœur d’Helsinki avait tout ce dont Tove Jansson espérait. Pourtant loin des standings des résidences d’artistes d’Europe, son petit atelier représentait le lieu de création idéal à ses yeux. En découvrant la pièce de 7,7 mètres de côté en 1944, voici ce qu’elle pensait : « Avec les bombardements, c’était horrible, plus de fenêtres, des fissures partout, des pans de mur effondrés, la cuisinière et les radiateurs tout a été détruit. » Un confort spartiate qui ne l’empêcha pas d’y passer le plus clair de son temps, même durant les hivers vigoureux de Finlande.
Lieu de rencontres, de fêtes et de vie – elle dormait dans une mini chambre adjacente -, son atelier lui permis de réaliser son rêve d’enfant : un endroit à son image où les pensées sont libres et les jugements interdits. Un rêve d’autant plus symbolique qu’elle en fit l’acquisition à la fin d’une des nombreuses menaces d’expulsion qui la visait depuis 10 ans. Tove Jansson fera appel à un couple d’amis designer, Reima et Raili Pietilä pour le moderniser en 1962. L’atelier mythique de Tove Jansson est resté intact depuis lors. Depuis une quinzaine d’années, des visites guidées y sont proposées et permettre de se plonger dans la peau de l’artiste finlandaise homosexuelle la plus connue au monde.
Tove Jansson, une icône engagée
Aujourd’hui encore, Tove Jansson fait figure d’icône culturelle adorée des enfants, admirée par les adultes. À sa mort en 2001, elle laisse derrière elle une œuvre considérable : peintures, romans, livres et contes pour enfants, couvertures de magazines, dessins animés politiques, livrets… Celle qui a conquis le cœur des bédéphiles (les amateurs de bandes dessinées) grâce aux 9 éditions des Moomins fut autant appréciée par son savoir-être que son audace artistique.
Dans la biographie Tove Jansson: Work and Life, l’historienne Tuula Karjalainen souligne bien les positions avant-gardistes de l’artiste finlandaise, notamment dans ses choix de vie personnels. En effet, elle partagera son quotidien avec un homme sans être mariée, une anomalie à l’époque, avant d’enchaîner quelques relations avec des femmes. Ses liaisons homosexuelles sont restées secrètes un moment avant d’être dévoilées, quand on sait que l’homosexualité était passible d’une peine de prison ou à l’internement psychiatrique jusque dans les années 1950. Elle dû même changer de numéro de téléphone suite aux appels incessants de personnes l’accusant d’avoir vendu son âme ou de s’être auto-censuré au profit de la réalisation d’œuvres commerciales.
On retrouve néanmoins des arguments opposés dans l’avant-propos de Fair Play rédigé par Ali Smith : « Dans sa production littéraire pour adultes comme dans le reste de son œuvre, Tove Jansson a fait preuve d’une assez grande radicalité dans la forme comme dans le choix des thèmes abordés, une radicalité là aussi empreinte de la tranquillité profonde qui est le propre de toute sa création. » La clarté stylistique de Jansson « mène à une transparence baignée de mystère », et ses livres mettent en scène « des personnages qui ne sont pas habituellement présents en littérature, ou auxquels les écrivains ne laissent habituellement que peu de place. »
La dernière très forte impression de lecture que j’ai ressentie m’a été causée, il y a sept ou huit ans, par Le Seigneur des Anneaux, de Tolkien, où la vertu romanesque resurgissait intacte et neuve dans un domaine complétement inattendu.
[LIBREL.BE] Dans un paisible village du Comté, le jeune Frodon est sur le point de recevoir un cadeau qui changera sa vie à jamais : l’Anneau de Pouvoir. Forgé par Sauron au coeur de la Montagne du Feu, on le croyait perdu depuis qu’un homme le lui avait arraché avant de le chasser hors du monde. À présent, de noirs présages s’étendent à nouveau sur la Terre du Milieu, les créatures maléfiques se multiplient et, dans les Montagnes de Brume, les Orques traquent les Nains. L’ennemi veut récupérer son bien afin de dominer le monde ; l’OEil de Sauron est désormais pointé sur le Comté. Heureusement Gandalf les a devancés. S’ils font vite, Frodo et lui parviendront peut-être à détruire l’Anneau à temps.
Chef-d’oeuvre de la fantasy, découverte d’un monde imaginaire, de sa géographie, de son histoire et de ses langues, mais aussi réflexion sur le pouvoir et la mort, Le Seigneur des Anneaux est sans équivalent par sa puissance d’évocation, son souffle et son ampleur.
Cette traduction de Daniel Lauzon prend en compte la dernière version du texte anglais, les indications laissées par Tolkien à l’intention des traducteurs et les découvertes permises par les publications posthumes proposées par Christopher Tolkien.
Ce volume contient 18 illustrations d’Alan Lee, ainsi que deux cartes en couleur de la Terre du Milieu et du Comté.
TOME 2 – Les deux tours
[LIBREL.BE] La Fraternité de l’Anneau poursuit son voyage vers la Montagne du Feu où l’Anneau Unique fut forgé, et où Frodo a pour mission de le détruire. Cette quête terrible est parsemée d’embûches : Gandalf a disparu dans les Mines de la Moria et Boromir a succombé au pouvoir de l’Anneau. Frodo et Sam se sont échappés afin de poursuivre leur voyage jusqu’au coeur du Mordor. À présent, ils cheminent seuls dans la désolation qui entoure le pays de Sauron – mais c’est sans compter la mystérieuse silhouette qui les suit partout où ils vont.
Ce volume contient 16 illustrations d’Alan Lee, ainsi qu’une carte en couleur de la Terre du Milieu.
TOME 3 – Le retour du roi
[LIBREL.BE] La dernière partie du Seigneur des Anneaux voit la fin de la quête de Frodo en Terre du Milieu. Le Retour du Roi raconte la stratégie désespérée de Gandalf face au Seigneur des Anneaux, jusqu’à la catastrophe finale et au dénouement de la grande Guerre où s’illustrent Aragorn et ses compagnons, Gimli le Nain, Legolas l’Elfe, les Hobbits Merry et Pippin, tandis que Gollum est appelé à jouer un rôle inattendu aux côtés de Frodo et de Sam au Mordor, le seul lieu où l’Anneau de Sauron peut être détruit.
Ce volume contient 15 illustrations d’Alan Lee, entièrement renumérisées, d’une qualité inégalée, ainsi que deux cartes (en couleur) de la Terre du Milieu et du Comté.
Une intégrale en un volume est disponible depuis 2024…
TOLKIEN John Ronald Reuel, Le Seigneur des anneaux (1954-1955) est paru chez Christian Bourgois en 2022, dans une nouvelle traduction de Daniel Lauzon, illustrée par Alan Lee.
Tome 1 : La fraternité de l’Anneau (528 pages, 1954) ; Tome 2 : Les deux tours (432 pages, 1954) ; Tome 3 : Le retour du Roi (518 pages, 1955)
EN (UK) > FR
Disponible en grand format, eBook et poche.
EAN 9782267046885
EAN 9782267046892
EAN 9782267046908
L’auteur
[CULTURE.ULIEGE.BE] John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) est sans nul doute un des plus illustres collaborateurs scientifiques de l’Université de Liège.
Élevé au rang de Docteur honoris causa à l’ULg en 1954, il était à l’époque connu et reconnu par le monde académique pour ses travaux de philologue, spécialisé dans le domaine des littératures vieil-anglaise et norroise, plutôt que pour le désormais célébrissime The Hobbit, publié dès 1937, et qui suscitait le plus souvent les quolibets de ses collègues médiévistes. Cela ne l’a pas empêché de diriger la thèse de doctorat de Simonne D’Ardenne (An Edition of The Life and the Passion of Saint Juliana, Université d’Oxford, 1936), qui fut nommée Professeur de grammaire comparée à l’ULg en 1938, et avec qui il continua de collaborer jusqu’au milieu des années cinquante.
Quelques mois avant d’être honoré par l’ULg, Tolkien publie le premier volume de la trilogie du Seigneur des Anneaux, qui a donné ses lettres de noblesse à la fantasy et reste un des ouvrages les plus lus et les plus traduits au monde. D’aucuns prétendent qu’il est le livre le plus lu après la Bible ; il est en tous cas le plus populaire des livres du siècle dernier, avec plus de 150 millions d’exemplaires vendus depuis sa première parution.
[LIBREL.BE] Janina Doucheyko vit seule dans un petit hameau au cœur des Sudètes. Ingénieure à la retraite, elle se passionne pour la nature, l’astrologie et l’oeuvre du poète et peintre William Blake. Un matin, elle retrouve un voisin mort dans sa cuisine, étouffé par un petit os. C’est le début d’une série de crimes mystérieux sur les lieux desquels on retrouve des traces animales. La police mène l’enquête. Les victimes avaient toutes pour point commun une passion dévorante pour la chasse…
TOKARCZUK Olga, Sur les ossements des morts est paru chez Phébus Libretto en 2020, dans une traduction de Margot Carlier.
PL > FR
EAN 9782369145714
288 pages
Disponible en grand format, ePub et poche.
Bonnes feuilles…
Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tel que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d’aller me coucher, au cas où une ambulance viendrait me chercher en pleine nuit.
L’auteur.e…
[BNF.FR] Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature 2018. Largement reconnue non seulement dans sa Pologne natale mais aussi à l’étranger, l’écrivaine Olga Tokarczuk est lauréate du prix Nobel de littérature, décerné en 2019 au titre de l’année 2018. Cette haute distinction s’ajoute à un palmarès impressionnant qui englobe Niké, le plus prestigieux prix littéraire polonais, qui lui a été attribué à deux reprises (2008 et 2015), et The Man Booker International Prize (2018). L’Académie suédoise a su reconnaître “une imagination narrative qui, avec une passion encyclopédique, symbolise le dépassement des frontières comme forme de vie.” Olga Tokarczuk rejoint ainsi quatre auteurs polonais nobélisés : Henryk Sienkiewicz (1905), Władysław Reymont (1924), Czesław Miłosz (1980) et Wisława Szymborska (1996).